vendredi 16 octobre 2009

Et si l’arbre climatique cachait la forêt des conflits armés ?

par Ben Cramer, 1/9/2009

Version española: ¿Y si el árbol climático escondiese el bosque de los conflictos armados?
Versione italiana: E se l'albero climatico nascondesse la foresta dei conflitti armati?

Tout va donc se jouer en décembre 2009 ? La thèse selon laquelle la protection de notre chère planète passe par la préservation de la couche d’ozone et une réduction d’ici 2020 de 20 % des gaz à effets de serre pour les Européens, est dans l’air du temps. Et selon le kit de survie, le prochain sommet de Copenhague est l’horizon indépassable. Formule choc, mais bien réductrice.
Loin de vouloir ironiser sur les urgences ou de proposer une autre hiérarchie des priorités, notre survie — dont il serait question à Copenhague — ne dépend-elle pas tout autant du sort qui sera réservé aux armes nucléaires ? Eu égard au rôle qu’elles jouent dans les questions climatiques, eu égard aux ressources financières qui sont détournées à leur profit et parce que ces armes sont destinées à défigurer et dévaster la planète… durablement, la question mérite d’être posée.

Une mobilisation désarmante

Le 29 août dernier, quelques 10 000 personnes se sont retrouvées sur la plage d’Ostende en Belgique afin de tourner un clip appelant à l’action contre les changements climatiques. Ce film deviendra un outil de mobilisation dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur le climat, qui aura lieu à Copenhague début décembre.
L’ultimatum climatique est une campagne s’intégrant dans la mobilisation internationale pour obtenir à Copenhague 2009 un accord à la hauteur des enjeux. « Plus que jamais l’avenir du climat se joue entre nos mains », clame la pub de la Revue Durable. Tout le monde y va de sa formule choc pour évoquer le temps détraqué. Le président Sarkozy, s’exprimant devant la conférence des ambassadeurs (le 26 août 2009), a déclaré : « Il n’y a pas de session de rattrapage, ce sera Copenhague en décembre ou çà ne sera pas ». Si l’on en croit le porte-parole de Greenpeace France, « cette année, compte tenu de l’importance de la conférence de Copenhague qui doit absolument aboutir à un accord fort et ambitieux pour faire face à l’urgence, la majeure partie de notre travail porte sur les questions climatiques. C’est notre cheval de bataille ».
Selon le Réseau des étudiants français pour l’éducation au Développement Durable, 75 % des étudiants considéraient en 2008 que la question des changements climatiques est un problème d’une telle ampleur qu’il doit devenir une préoccupation croissante dans la vie. « Les jeunes gens du monde entier forment la génération qui héritera des décisions que les gouvernements doivent prendre dans moins de 110 jours », a ainsi rappelé à Nairobi le directeur exécutif du PNUE, Achim Steiner. Alors qu’il ne restait que 100 jours d’ici à la Conférence sur les changements climatiques de Copenhague de décembre 2009, le PNUE a lancé le 28 août sur Internet la campagne « Seal the Deal ! » (l’heure de conclure !), qui vise à recueillir des millions de signatures pour une pétition sur le climat.

Un Protocole calqué sur le TNP ?

Serge Sur, l’ancien directeur adjoint (1986–1996) de l’Institut des Nations Unies pour la Recherche sur le Désarmement (UNIDIR) écrit : « En globalisant la menace, on la diffuse vers une culpabilité générale et impersonnelle dont plus personne n’est précisément responsable… »[1]. Mais ne nous arrêtons pas aux généralités. Le protocole de Kyoto épargne les plus grands émetteurs de la planète et cela rappelle d’autres arrangements internationaux. Les gros producteurs de mines anti-personnel ne sont pas parties prenantes à la Convention d’Ottawa. Le Traité de Non Prolifération Nucléaire (TNP) à « vocation universelle » est un autre cas d’école. Si le TNP est au désarmement nucléaire ce que Kyoto est au changement climatique, toutes les promesses sont possibles, les échappatoires et les tricheries aussi. Quatre puissances nucléaires (Corée du Nord, Inde, Israël, Pakistan) sur les neuf le boycottent et/ou s’en méfient. Quant aux cinq puissances qui ne boudent pas (ou plus) ce traité, et qui font nolens volens la pluie et le beau temps au Conseil de Sécurité de l’ONU, aucune n’a l’intention de se priver de sa quincaillerie nucléaire et chacune en détient suffisamment pour provoquer des perturbations climatiques conséquentes. Cherchez l’erreur.
Les trois sphinx de Bikini, Salvador Dali, 1947, collection privée.
Les trois sphinx de Bikini. Salvador Dali, 1947, collection privée

Et les brumes de guerres ?

Curieusement, avec la mobilisation sur « la clim », le politiquement correct consiste à dissocier deux phénomènes : la dégradation environnementale et la militarisation du monde. Les lecteurs de Notre survie à tous de Brundtland ont dû traverser quelques zones de turbulences amnésiques. Certes, l’ouvrage est complètement passé inaperçu en France… à sa sortie… mais puisque cette « bible » (ou coran) du développement durable est si souvent citée, rappelons que le chapitre 11 est entièrement consacré au lien entre paix, sécurité, développement et environnement. On peut y lire que les armes nucléaires représentent « la plus grande menace pour l’environnement et le développement durable ». Un moyen de convaincre les politiques — ou du moins ceux qui en doutaient — que toutes les guerres sont anti-écologiques[2]. Et surtout qu’un conflit atomique n’aurait pas de vainqueur et qu’un seul perdant : la planète[3]. Les militants anti-CO2, qui feront le pèlerinage dans la capitale danoise, semblent hélas peu déterminés à se mobiliser pour le 21 septembre, la journée mondiale de la paix. En tout cas, tant que les neuf puissances dotées d’armes nucléaires sont capables de débloquer en 24 heures, juste pour maintenir en état et moderniser leurs arsenaux, l’équivalent de ce que le PNUE dépense en un an, les financements pour éviter la fonte des banquises seront toujours difficiles à trouver[4]. Disons le autrement : ce que le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) consacre en 2008 à des projets « d’adaptation au changement climatique » , soit 26 millions de dollars, équivaut à deux jours de l’enveloppe budgétaire prévue (dans le budget défense) pour notre « dissuasion ».

La pollution militaire

La militarisation, ennemi public no 1 de la démocratie, est aussi l’ennemi de la sauvegarde de la qualité de la vie et — venons-en à l’essentiel ! — de la vie tout court. On peut nier ce lien, bien sûr, au point de nous faire croire que ceux qui détiennent 25 000 ogives nucléaires ciblent la planète Mars, tirent « à blanc » et font « joujou » tout simplement, en s’appropriant 1 % de la superficie terrestre — le nombre de km² réservés au maniement des armes. La vingtaine de sites qui ont servi — 2 059 fois ! — de lieux d’essais d’ogives nucléaires, ne connaîtront pas le retour à l’herbe. Les zones condamnées le sont pour les générations futures (pas seulement sur l’atoll de Bikini que les habitants ont dû abandonner lors des essais nucléaires américains de 1954 sans jamais pouvoir y retourner). Aux alentours des atolls les plus fragiles (d’Amchitka aux Îles Christmas en passant par Kwajalein), la détection de la pollution marine mériterait autant d’attention que la recherche d’une boîte noire, ou la traque de pirates et réfugiés. Si pour certains militaires, l’empreinte écologique de toutes ces activités est un détail, le changement climatique ne les épargne pas : leurs infrastructures vont trinquer avec la montée des eaux. Une île comme Diego Garcia, par exemple, que le Pentagone s’est approprié en 1965 après avoir déporté ses habitants, est en sursis : la piste qu’empruntent allègrement les B-52 et les B-2 (dits furtifs) pour bombarder l’Afghanistan et l’Irak sera bientôt inondée.

Nucléarisation et « hiver nucléaire »

Quand les militants branchés sur Copenhague avertissent « The climate is ticking », la formule est empruntée. Pourquoi cette OPA ? L’horloge de l’apocalypse, ce sont les physiciens qui l’ont mise en place en 1947, par rapport à la bombe atomique et le compte à rebours est déplacé en fonction des menaces… nucléaires. Allons plus loin dans la paternité des événements et des réflexions : ceux qui ont dénoncé les arsenaux nucléaires et contré leur pouvoir de séduction ont aussi été les premiers lanceurs d’alerte en matière climatique. Il y a plus de vingt cinq ans, des scientifiques — dont l’astrophysicien Carl Sagan, Paul J. Crutzen du Max Plank Institut à Mayence, Richard P. Turko de l’Université de Californie —, ont brandi le scénario de « l’hiver nucléaire »[5]. Dès lors, la boulimie nucléaire des Super Grands a été maîtrisée et la course délirante aux mégatonnes[6] fut interrompue. Ce scénario, qui n’a rien à voir avec des « variations saisonnières », démontrait (par simulation) qu’en cas d’échange, de « tirs croisés » de la moitié des ogives détenues à l’époque par Moscou et Washington, l’hémisphère Nord se trouverait plongé dans un climat glacial jusqu’à ce que les poussières rejetées dans l’atmosphère soient retombées au sol. Ces particules, en suspension dans l’atmosphère, agiraient comme un écran et bloqueraient les rayons solaires durant plusieurs mois. Privée de lumière et de chaleur, la végétation ne pourrait survivre et cela entraînerait la rupture de la chaîne alimentaire. Dans les zones nordiques, il suffirait que la température descende de 1 ou 2 degrés pour que les récoltes gèlent. Un refroidissement sur le plateau tibétain, freinant son réchauffement pendant la saison d’été, supprimerait l’appel d’air chargé d’humidité venant de l’océan, empêchant ainsi la mousson d’apporter les pluies indispensables à la vie de l’Inde et du Pakistan.

Des vérités qui dérangent ?

La solidarité internationale est le parent pauvre du développement durable.
Le problème de la solidarité internationale est aussi grave que celui du changement climatique et du réchauffement de la planète. Si cet aspect de solidarité n’existe pas, nous assisterons à des déplacements de populations entraînant des conflits difficiles à maîtriser…
Le GIEC estime que la menace d’un changement climatique progressif et ses impacts (…) ne sera pas grave au point de représenter une menace pour la sécurité. Et pourtant. Si le gouvernement canadien prévoit de débloquer 10 milliards de dollars pour construire des navires de guerre qui vont patrouiller dans l’Arctique, est-ce par pure coïncidence et sans rationalité géopolitique ?
Parmi les vérités qui dérangent, on pourrait se demander pourquoi l’empreinte écologique des forces armées et des systèmes d’armes est un sujet tabou. Admettons que les climatologues et leurs acolytes soient indifférents aux questions militaires. Mais l’inverse ne colle pas : les forces armées ont su utiliser l’environnement à leurs fins. Prenons le cas de la déforestation qui joue son rôle dans les perturbations climatiques : la dioxine épandue avec des avions C-123 Provider est allée de concert avec la devise affichée par la US Air Force « Only we can prevent forests » lors de leurs opérations au Vietnam (1961–1975). Curieusement, les militants qui « tremblent »[7] pour le climat ont tendance à zapper la célébration du 6 novembre, la journée internationale pour la prévention de l’exploitation de l’environnement en temps de guerre et de conflit armé.
Si l’Antarctique est encore plus ou moins préservé, c’est parce qu’il a été dénucléarisé et démilitarisé dès 1959[8]. Depuis, l’environmental warfare (pour briser les équilibres d’un écosystème par exemple) s’intéresse plus particulièrement à investir l’espace, le cosmos comme disent les Russes : une arène d’affrontement militaire avec pour décor principal plus de 2 800 engins spatiaux. Mais tous ceux qui manient parfaitement les acronymes du GIEC ou de l’IPCC (version anglo-saxonne) calent devant le sigle PAROS (Prevention of an Arms Race in Outer Space), bref, la militarisation de l’espace extra-atmosphérique. À l’heure où tout le monde a une pensée émue pour la couche d’ozone de l’atmosphère, les fusées qui consomment 15 tonnes de combustibles par seconde font moins de pub que les 4×4 et les limitations de vitesse pour missiles.

Copenhague dans le rétroviseur

Revenons au climat. Lorsque la fièvre de Copenhague sera retombée, peut-on anticiper une révision des priorités sur tout ce qui risque de nous tomber sur la tête ? Déjà en 1991, la Commission Trilatérale estimait que « la crainte d’un conflit nucléaire, qui a exercé une pression psychologique considérable à une époque, [...] est en train de s’estomper. Mais certaines menaces environnementales pourraient finir par exercer la même pression dans l’esprit des peuples. [...] » si l’on en croit le rapport intitulé Beyond Interdependance.
Il m’apparaît plutôt que la pression pourrait être soutenue, amplifiée si l’on garde en tête qu’une menace ne doit pas se substituer à une autre et que le compartimentage ne fait avancer que les œillères. Certes, le front des ONG pour le désarmement nucléaire ne bénéficie pas d’une force de frappe médiatique équivalente à celle des ONG écologistes, ni d’un consensus sur la gravité de l’enjeu. Mais puisque j’ai fait référence aux tractations de la diplomatie atomique, évitons les mêmes écueils et des déceptions similaires. L’après-Kyoto peut être l’occasion de répertorier à la fois les acteurs vertueux, ceux qui s’engagent de façon différenciée, même à reculons et les voyous arrogants ou discrets qui ne méritent pas un traitement d’exception et/ou de faveur.

Notes


  1. Questions Internationales no 38, juillet–août 2009, La Documentation Française, 90 pages, dont 2 pages (sic) sur la sécurité et les études stratégiques. [remonter]


  2. Les dégradations procèdent de la déclaration de guerre, les dégâts financiers peuvent se facturer comme des dégâts de guerre… Cf. article sur crises, guerres et paix, 24 mai 2009. [remonter]


  3. Umberto Eco, Cinque Scritti Morali, Bompiani, Milano 1997. [remonter]




  4. Paul Ehrlich, Carl Sagan, Donald Kennedy, Walter Orr Roberts, Le froid et les ténèbres, Belfond, 1985 ; traduit de The Cold and the Dark par WW Norton & Company, New York, 1984. [remonter]


  5. Mégatonne : unité de puissance d’une arme nucléaire qui équivaut à un million de tonnes de TNT, soit 1 000 kilotonnes, soit 66 fois la puissance d’Hiroshima. [remonter]


  6. Si l’on tape « Greenpeace », « climat » et « dramatique », Google met à la disposition de l’internaute 11200 pages en français. [remonter]


  7. Le Traité de l’Antarctique interdit les essais nucléaires, le recours à des bases militaires et le dépôt ou l’enfouissement de déchets nucléaires. [remonter]



Si près du but par David Lihard




mardi 13 octobre 2009

À propos d'un documentaire d'ARTE


Mardi 13 octobre 2009

Ceci est un communiqué des éditions l’Esprit frappeur
Nous souhaitons réagir à propos de la diffusion de Déchets : le cauchemar du nucléaire, documentaire réalisé par Eric Guéret et Laure Noualhat, sur Arte, le mardi 13 octobre 2009, à 20h45.
La qualité de ce travail – « une enquête coup de poing », dit le réseau Sortir du nucléaire – nous oblige a ajouter ici un bémol. Si ceci est très bien, cela aurait été encore mieux en mentionnant ses sources…
L’occultation des sources d’information, sur des sujets aussi sensibles que le nucléaire, ne facilite pas la compréhension.
Pour le grand public, la citation d’ouvrages à des prix abordables, accessibles à tous, documentés et référencés, est importante et complémentaire.
Cela aurait l’avantage de présenter des sources plus équilibrées, et d’éviter de donner l’impression que le sujet n’a pas été sérieusement fouillé pour la réalisation du documentaire que vous présentez, et dans le livre tiré de cette enquête, co-édité par Le Seuil et Arte.
Plusieurs ouvrages, parus récemment, auraient mérité de figurer dans les références bibliographiques, sur le site Internet de la chaîne Arte dédié à cette soirée, à la fin de la diffusion du documentaire – et au cours du débat qui suivra –, comme dans ce livre-enquête.
En ce qui nous concerne, vous trouverez dans le catalogue des éditions Esprit Frappeur, les ouvrages :
* Perline, Tout nucléaire, une exception française (1997 – 1,5 euro) EF007
* Bella et Roger Belbéoc’h, Sortir du nucléaire, c’est possible, avant la catastrophe ! (2002 - 3
euros), EF020
* Roger Belbéoc’h, Tchernoblues, de la servitude volontaire à la nécessité de la servitude (2002 – 4
euros), EF105
* Ben Cramer et Camille Saïsset, La descente aux enfers nucléaires, Mille milliards de becquerels dans la terre de Bure (2004 – 6 euros), EF128
Et c’est particulièrement pour ce dernier ouvrage – qui porte sur le même sujet que cette émission d’Arte et le livre qui l’accompagne – que l’on s’étonne aujourd’hui.
Camille Saïsset, co-auteure de La descente aux enfers nucléaires, s’est émue la première :
« Ce mercredi soir, grande soirée sur les déchets nucléaires sur Arte. Un documentaire suivi d’un débat avec PPDA... En effet, en parallèle de la réalisation de ce docu d’Eric Guéret et Laure Nouhalhat, un livre-enquête a été écrit par celle-ci, deux œuvres qui portent le même titre :
Déchets : le cauchemar du nucléaire. »
« Jusque-là, tout va bien, à peu près.
En effet, notre ouvrage La Descente aux Enfers nucléaires, mille milliards de Becquerels dans la terre de Bure, paru aux éditions l’Esprit Frappeur en juin 2004, ne figure pas dans la biblio de cet ouvrage sorti ce 8 octobre ; sur la dizaine de titres cités, figurent par contre deux d’Anne Lauvergeon, la patronne d’Areva... Dans le cadre, de l’annonce de la soirée télévisée, sur le site de Arte, se trouve un onglet biblio.. Une liste d’ouvrages
qui seront probablement repris par PPDA à l’antenne le jour dit. »
« Là encore, pas La Descente aux enfers nucléaires...
"Biblio peut-être pas complète", dirait l’auteur. Le webmaster d’Arte aurait été averti de l’existence de notre ouvrage et pourtant, rien... »
Son co-auteur, Ben Cramer, renchérit :
« Il est étonnant de voir que La descente aux enfers nucléaires ne soit pas référencé, alors qu’il l’a été à la Cité des Sciences, par les autorités de sûreté nucléaire, il y a deux ans, et qu’il contient lui-même 8 pages de bibliographie et aucun livre de pub d’Areva. »
« Il est étonnant de voir que le titre est tellement proche entre “descente aux enfers” et “cauchemar”. »
« Il est surprenant que certaines infos sur l’international et sur le lien civil/militaire se recoupent sans qu’il y ait le moindre renvoi aux sources d’inspiration… »
« Peut-être que ces silences s’expliquent par le fait que, dans cette affaire des déchets de Bure, il y a de grosses casseroles que La descente aux enfers nucléaires n’hésite pas à dénoncer :
– tabou : la mort d’une victime sur le chantier ;
– un invalide à vie dû au chantier ;
– géographie : un continuum depuis Moronvilliers en passant par Valduc ;
– une critique en règle des opposants qui ne s’opposent pas beaucoup, (et s’opposent toute
autocritique) ;
– la perspective d’un chantier à finalité pas seulement expérimentale ;
– et la perspective d’un site pas seulement français mais européen. »
Quoiqu’il en soit dans cette affaire, profitons de l’occasion pour dénoncer ici le fait que l’on peut voir fréquemment des éditeurs ou des médias institutionnels ignorer purement et simplement le travail d’éditeurs indépendants, rarement mentionnés, souvent pillés…
Ce mécanisme tend à conforter un système monopolistique de diffusion de l’information, dont il est à craindre qu’il tend au contrôle de l’espace critique. Même et y compris quand il s’agit, comme ici, de diffuser une information critique, le fait qu’on prenne soin au passage de nier l’existence d’autres
travaux critiques, nous oblige à dénoncer cette entreprise encensée par ailleurs à juste titre.
Dans le parcours de l’édition critique, on aura souvent vu de fausses critiques se substituer aux vraies. On sait que c’est un soucis constant du pouvoir que de contrôler sa propre critique. Serait-on
ici dans un cas semblable ?
Contact presse : Farid 06 14 81 56 79

vendredi 9 octobre 2009

Le bouclier européen prend le large


Par Ben Cramer, CIRPES,  9/10/2009

Obama a coupé dans un budget qui a atteint cette année 9,2 milliards de dollars (soit une hausse de 74 % depuis 2001). Certes, le sacrifice financier est relatif : 360 millions U$ pour développer et tester les intercepteurs en Pologne, 77 millions pour le radar (European Midcourse Radar), transféré depuis Kwajalein, 27 millions pour l’ European Global Engagement Manager et le système de communications entre les deux sites. Mais voilà que les acteurs du théâtre européen tablent désormais sur un rapprochement Moscou-Washington, à la fois pour débloquer l’agenda du désarmement, en panne depuis dix ans, et pour briser les capacités de nuisance de certains Etats peu sensibles aux sirènes sur le surarmement nucléaire, peu réceptifs à la volonté américaine depuis Ronald Reagan et Edward Teller de rendre les armes nucléaires (...des autres) « impuissantes et obsolètes » [1]. Quel que soit le caractère déstabilisant du système et sa faisabilité technique, plusieurs leçons peuvent déjà être tirées du dernier épisode du feuilleton antimissile
Une menace qui n’existe pas

Noam Chomsky exagère un peu en affirmant que les probabilités pour que les Iraniens utilisent leurs missiles pour attaquer l’Europe sont inférieures à celles que l’Europe soit touchée par un astéroïde. Mais si les Européens veulent jouer à se faire peur, leur territoire n’a subi qu’un missile libyen (en 1986), un seul Scud bricolé qui s’est écrasé comme un pétard mouillé quelque part près de Lampedusa ; et ce depuis les V-2 de l’Allemagne nazie - qui ont fait plus de victimes parmi les déportés en Allemagne que parmi la population civile au Royaume-Uni. Lorsque le secrétaire d’Etat (U.S.) à la Défense Robert Gates annonce que la menace de missiles iraniens de longue portée n’est "pas aussi immédiate qu’imaginée auparavant", l’Europe admet qu’aucun Etat voyou, ex-‘Rogue States’ ou ‘proliférants ‘ ne possède de missiles ayant une portée de l’ordre de 5 000 à 8 000 kilomètres. Mais enfin, un système « qui ne marche pas pour faire face à une menace qui n’existe pas », pour reprendre l’expression de Joseph Cirincione [2], peut difficilement être une success story de la diplomatie. Les peuples européens - qui n’ont pas été consultés au sujet de cette ligne Maginot étoilée - sont-ils convaincus qu’un missile en partance d’Iran [3] pourrait atteindre le territoire américain en passant par Prague ou Varsovie ? “Comme on dit chez nous [en Russie] , c’est comme si l’on utilisait la main droite pour atteindre son oreille gauche”, ironisait Vladimir Poutine [4] à la Wehrkunde, en février 2007. En tout cas, ce n’est pas la première fois que nos protecteurs biaisent avec les lois de la balistique : il n’y a pas si longtemps, des missiles stationnés à Comiso étaient censés protéger l’Atlantique nord des méfaits des SS-20 braqués sur l’Ouest du continent.

L’Europe marginalisée

Alors que la défense européenne est toujours dans les limbes, alors que des menaces graves et plus immédiates que la menace balistique devraient crever l’écran du radar politico-militaire avec les Balkans et Chypre en ligne de mire, la contre-prolifération domine curieusement le calendrier de la sécurité. La frustration de ne pas s’activer à la militarisation de l’espace (en jouant dans la cour des Grands) dépasse la volonté affichée de décrocher sérieusement du marathon de l’armement. Certes, ce qui est bon pour Prague ou Varsovie n’est pas forcément bon pour l’Europe ; certains dirigeants et pas seulement à Berlin l’ont compris. Mais pas tous. Avant même qu’Obama revienne sur les engagements qu’il avait pris à Prague [5] l’UE avait donné son feu vert pour financer l’amélioration des infrastructures civiles dans un rayon de 10 km autour de la station radar. Le site polonais censé accueillir des Intercepteurs basés au sol , des Ground-Based Interceptors [GBI pour les intimes ] de la taille d’un missile balistique intercontinental Minuteman, eût été la copie conforme (sur 300 hectares) de Fort Greely. Mais l’Europe, même la ‘nouvelle Europe’ se vit-elle comme une autre Alaska ? Dans cette Europe si soucieuse de son environnement, les retombées éventuelles de la destruction de missiles dans le ciel européen n’ont pas suscité la moindre indignation au nom du principe de précaution. Au contraire. « Aucun Etat européen, du moins je l’espère, ne refuserait le risque d’une petite pluie de fragments sur son territoire si c’est le prix à payer pour sauver une nation amie ou un pays allié d’une attaque de missiles », déclarait récemment un officier britannique. Dans le cadre d’un cosmos militarisé, où la gestion des débris n’est donc qu’un détail, les dirigeants européens avaient pourtant des motifs légitimes d’inquiétude. Que les GBI ne transportent pas d’ogive (nucléaire) mais ‘seulement’ des charges conventionnelles destinées à détruire des missiles, est-ce la panacée pour minimiser les impacts ? Faire croire aux opinions publiques qu’une dizaine de missiles intercepteurs ne vaut pas la chandelle d’une guerre froide est purement rhétorique car le pays « hôte » ne gère pas plus le nombre d’intercepteurs qu’il ne gère le nombre de missiles embarqués sur les bases aériennes de l’OTAN.
La force multilatérale de 1958

L’initiative stratégique U.S. s’est inscrite dans un cadre bilatéral (Etats-Unis/Pologne ; Etats-Unis/République tchèque) ; ce schéma va perdurer et Ankara détiendra ‘ses’ Patriot’ avant Varsovie. De toute façon, avec ou sans Brdy et Redzikowo, le système d’alerte avancée survit à Fylingdales au Royaume-Uni, à Vardo en Norvège, sans oublier Thulé où 440 Danois et 110 Groenlandais travaillent dans cette base agrandie et relookée à grand frais (500 millions U$). Pour une Europe qui se rêve parfois ‘ni pute ni soumise’, les dés sont plutôt pipés. Les promoteurs du bouclier verront dans les récentes délocalisations un remake de la Multilateral Force, (MLF) de 1958, quand les Etats-Unis proposèrent de mettre à la disposition des alliés des engins Polaris basés sur des navires de surface ou des sous-marins et composés d’équipages mixtes, multinationaux. Demain, avec la version maritime du BMD, le déploiement de croiseurs Aegis équipés d’intercepteurs SM- 3, la défense anti-missiles prend le large avec des navires capables de sillonner de la Méditerranée au Golfe persique en déviant par exemple vers l’Océan Indien...

[1] discours du 23 mars 1983

[2] President du Ploughshares Fund

[3] Le nom du missile, selzal, veut dire tremblement de terre en persan
[4] traduction Novosti

[5] ‘The Czech Republic and Poland have been courageous in agreeing to host a defense against these missiles... B. Obama, 4 avril 2009)