vendredi 25 décembre 2009

Après l’échec du Sommet de Copenhague, le président Evo Morales appelle à une conférence mondiale en Bolivie contre le changement climatique

par  ABI,  20/12/2009. Traduit par Philippe Cazal, Tlaxcala


Culpina, Chuquisaca, 20 décembre- Le président Evo Morales a annoncé ce dimanche qu’il appellera toutes les nations de la planète à une « grande mobilisation » en défense de l’environnement et qu’il convoquera, pour avril prochain en Bolivie, une conférence mondiale des mouvements sociaux, à la suite de « l’échec » du sommet de Copenhague.
« Le problème mondial (du changement climatique) est dû au développement industriel irrationnel des usines. C’est sur cela que nous devrions nous pencher. J’ai demandé des arguments techniques et scientifiques pour rendre possible, à partir d’ici, une grande mobilisation internationale pour défendre l’environnement, plus particulièrement l’eau. Il y aura lundi une conférence de presse internationale pour inviter les peuples du monde », a affirmé le président à Culpina, localité rurale du Sud-Est de la Bolivie.
À la suite du Sommet sur le Changement Climatique, qui a donné lieu à un maigre document de conclusions, « antidémocratique » selon Morales lui-même qui est rentré samedi de la capitale danoise, La Paz propose d’organiser en Amérique du Sud un forum alternatif à celui de Copenhague.
Ce forum, dont l’agenda est en cours de discussion, aura lieu le 22 avril, Journée Mondiale de la Terre.
Morales, qui a participé ce dimanche au 49e anniversaire de la fondation de Culpina*, où il a remis des fonds pour la réalisation de plusieurs projets d’irrigation, la construction d’une unité d’enseignement et d’équipements sportifs, pour un montant de 6 millions de bolivianos, invitera les forces sociales du monde entier à une réunion en Bolivie « pour la réalisation d’un grand événement où l’on proposera des solutions sur le changement climatique ».
Le président a exprimé sa frustration du fait qu’aucun accord n’ait été atteint pendant le Sommet de Copenhague, tout en soulignant le succès qui consiste à avoir brisé l’hégémonie des pays développés sur cette manifestation.

Membre de la délégation bolivienne à Copenhague. AP Photo logo AP Photo
Il a protesté contre la proposition de représentants des pays développés qui ont pris l’option d’une augmentation de deux degrés de la température de la planète alors qu’à l’heure actuelle, avec une augmentation de 0,7 % de la température moyenne de la planète, des lacs s’assèchent, les glaciers disparaissent et on craint la disparition d’îles, de régions situées à peine à 10 ou 20 m au-dessus du niveau de la mer du fait de la fusion des glaces continentales.
« Si nous ne prenons pas maintenant des décisions importantes, dans 30 ans nos enfants et les générations futures auront de sérieux problèmes. Des gens meurent déjà de chaleur en Europe. Et les pays capitalistes ne veulent pas changer leurs politiques pour éviter de plus grands dommages à la nature », a-t-il déclaré.
Et si eux (les puissances industrielles) ne veulent pas, « les peuples vont devoir les faire changer », a-t-il averti.
Le président a suggéré qu’à partir du moment où il y aura une invitation officielle pour la réunion internationale, les organisations sociales de Bolivie devront lancer immédiatement le débat parmi leurs adhérents, avec l’objectif de trouver des solutions à la problématique mondiale.
Il a dit que l’un des buts principaux de l’appel à cette mobilisation est de garantir l’alimentation mondiale, face à la famine qui sévit en divers lieux de la planète.
« J’ai même pensé à avoir des camarades dirigeants qui parlent anglais pour les envoyer éveiller les consciences, mobiliser et nationaliser les ressources naturelles dans le monde entier, y compris en Afrique où il y a beaucoup de souffrances, ce qui est déplorable », a conclu le Chef de l’Etat.
L’accord de Copenhague, proposé par les USA, qui ont obtenu l’appui de dernière heure de la Chine, reconnaît la nécessité de maintenir le réchauffement global en dessous de deux degrés, mais il ne contient aucun engagement sur les moyens d’y parvenir.
L’assemblée plénière a approuvé un document qualifié de ridicule par les organisations écologistes.
L’accord, non contraignant, est avant tout une déclaration de principes et il est très loin des objectifs initiaux.
Le Sommet de Copenhague sur le Changement Climatique, présenté depuis deux ans presque comme « la dernière opportunité » pour sauver la planète, a été un échec manifeste et, ce qui est plus grave, a représenté un changement par rapport au mécanisme accepté antérieurement.

* Plus précisément, le 49e anniversaire de la désignation de la commune de Culpina comme capitale de la 2e section de la province du Sud Cinti, département de Chuquisaca. http://www.enlared.org.bo/portal/default.asp?cg2=6042 [NdT]

mardi 22 décembre 2009

Hugo Chávez : La bataille de Copenhague

Lire et écouter les deux discours d'Hugo Chávez à Copenhague, 16 et 18 décembre 2009 ainsi que son article La bataille de Copenhague ici

lundi 30 novembre 2009

« La Terre ne peut pas supporter davantage »: interview de Leonardo Boff avant la Conférence de Copenhague

par Sergio FERRARI. Traduit par H.P.Renk
Source : e-changer
Article original publié le 7/11/2009
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Leonardo Boff a reçu le 7 novembre le doctorat honoris causa de l’Université de Neuchâtel. Le 4 novembre il a animé un débat public organisé par E-CHANGER et Mission Bethléem Immensee. Interview.


" Malgré des sombres pronostics , j'ai l'a confiance que l'espérance vaincra la peur et que la vie est plus forte que la mort". Photo Pablo Ferrari


La crise de l’environnement est largement médiatisée à l’approche de la Conférence sur le climat, qui se tiendra en décembre 2009 à Copenhague (Danemark). Faute de consensus préalable sur un accord définitif, les prévisions ne sont pas optimistes. « Malgré de sombres pronostics, j’ai la confiance que l’espérance vaincra la peur et que la vie est plus forte que la mort », assure le théologien brésilien Leonardo Boff, au début de cet entretien réalisé à l’occasion de sa récente visite en Suisse. Boff – l’un des pères fondateurs de la théologie de la libération, a reçu le 7 novembre le doctorat honoris causa de l’Université de Neuchâtel. Auparavant, durant cette même semaine, il a animé un débat public organisé par les ONG de coopération solidaires E-CHANGER et Mission Bethléem Immensee, à la Maison de solidarité Romero (Romerohaus) de Lucerne, à laquelle ont participé 200 personnes.
Sergio Ferrari (SF) : Tout le monde parle aujourd’hui de la problématique écologique planétaire. Dans les années 1980, vous étiez un précurseur pour sonner l’alarme sur ce thème. Comment analysez-vous la situation actuelle de l’environnement ?
Leonardo Boff (LB) : De nombreuses indications scientifiques signalent l’arrivée d’une tragédie écologique et humanitaire. Rien d’essentiel n’a changé depuis la rédaction de la « Charte de la Terre » élaborée en 2003 par un groupe de personnalités en provenance du monde entier. Nous disions dans ce merveilleux document : « Nous vivons un moment critique pour la Terre, où l’humanité doit choisir son futur. Le choix est le suivant : ou l’on promeut une alliance globale pour veiller sur les autres et sur la Terre, ou nous risquons notre destruction et la dévastation de la diversité de la vie ».
« On consomme plus que la Terre supporte »
SF : Comment justifiez-vous une affirmation si tranchante, sans moyen terme ?
LB : Par la convergence actuelle de trois crises structurelles : la crise causée par le manque de durabilité de la planète Terre, la crise sociale mondiale et la crise du réchauffement climatique.
SF : Pouvez-vous nous donner des exemples ?
LB : Socialement, la moitié de l’humanité vit au-dessous du niveau de misère. Les chiffres sont terrifiants : 20 % des plus riches consomment 82,49 % de toutes les richesses de la Terre, les 20 % les plus pauvres doivent se contenter d’un minuscule 1,6 %. Quant au réchauffement climatique, la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation) a prévenu que, dans les prochaines années, il y aura 150-200 millions de réfugiés climatiques. Les prévisions les plus dramatiques parlent d’une augmentation de 4°C d’ici 2035 ; pour la fin du 21e siècle, on prévoit une augmentation de 7° C.. Si cela devait réellement se produire, aucun type de vie connu aujourd’hui ne pourrait survivre. Quand à la crise de durabilité, un exemple éloquent : l’humanité consomme aujourd’hui 30 % de plus de ce qu’elle est capable de reproduire, c’est-à-dire 30 % de plus que les capacités de la Terre.
SF : Pourtant, cette tendance à consommer la planète n’est pas nouvelle…
LB : Non. La nouveauté, ce sont les niveaux rapides de cette détérioration. Selon des études crédibles, en 1961 nous avions besoin de la moitié de la Terre pour répondre aux demandes humaines. En 1981, nous avions besoin de la Terre entière. En 1995, nous avons dépassé de 10 % la capacité de reproduction, bien que ce soit supportable. En 2008, nous en sommes à 30 % : La Terre donne des signes sans équivoque qu’elle ne le supporte plus.


Leonardo Boff à la RomeroHaus de Lucerne. Photo Pablo Ferrari

Dans quelques années, il faudrait deux Terres
SF : Les perspectives sont encore plus préoccupantes ?
LB : Si le produit intérieur brut (PIB) poursuit sa croissance de 2-3 % par année, comme prévu, en 2050 nous aurions besoin de deux planètes Terre pour répondre à la demande de consommation : c’est impossible, parce que nous n’en avons qu’une.
SF : Cela nous oblige à penser à un autre paradigme de civilisation ?
LB : Effectivement. Nous ne pouvons plus produire, comme nous l’avons fait jusqu’ici. L’actuel modèle de production, capitaliste, part du faux présupposé que la terre est une grande malle, d’où on peut tirer des ressources indéfiniment pour faire des bénéfices avec l’investissement le plus minime dans le temps le plus court. Aujourd’hui, il est clair que la Terre est une planète petite, vieille et limitée qui ne supporte pas une exploitation illimitée. Nous devons nous orienter vers une autre forme de production et adopter d’autres types de consommation. Produire pour répondre aux besoins humains en harmonie avec la Terre, en respectant ses limites, dans un esprit d’égalité et de solidarité avec les générations futures : voilà le nouveau paradigme de civilisation.
Copenhague : l’influence du pouvoir économique
SF : Pour revenir à maintenant… Dans quelques semaines, se tient à Copenhague la Conférence sur le climat. Peut-on envisager un accord ?
LB : Il y a une prémisse claire. Nous devons faire tout ce qui est possible pour stabiliser le climat, en évitant le réchauffement de la Terre de 2 ou 3 degrés supplémentaires, afin que la vie puisse continuer. En comprenant que ce réchauffement impliquerait une dévastation de la biodiversité et l’holocauste de millions de personnes, dont les territoires ne seront plus habitables, particulièrement en Afrique et dans le Sud-est asiatique. Dans ce scénario, je suis préoccupé par l’irresponsabilité de nombreux gouvernements, notamment ceux des pays riches, qui ne veulent pas prendre des mesures consistantes pour réduire les émissions de gaz à effets de serre et sauver la climat. Une véritable éco-myopie !
SF : Cela provient d’un manque de volonté politique pour parvenir à des accords ?
LB : Surtout d’un conflit d’intérêts. Les grandes entreprises – notamment celles du pétrole - ne veulent pas de changement parce qu’elles perdraient leurs bénéfices actuels. Il faut comprendre l’interdépendance des pouvoirs politique et économique. Le grand pouvoir, c’est le pouvoir économique. Le politique en dérive. Dans de nombreux cas, les Etats ne représentent pas les intérêts populaires, mais plutôt ceux des grandes acteurs économiques
SF : En cas d’échec à Copenhague, quel serait le scénario postérieur par rapport à la (déjà) grave situation climatique ?
LB : A mon avis, la frustration politique peut signifier un défi énorme pour la société civile, pour qu’elle se mobilise, fasse pression et promeuve des changements venus d’en bas. Je crois que la raison, la prudence et la sagesse viendront de la société civile. Cette dernière sera, aussi pour le climat, le principal sujet historique. Aucun changement réel ne vient d’en haut, il viendra d’en bas.Et malgré ce présent difficile, je crois qu’il ne s’agit pas d’une tragédie qui finira mal, mais d’une crise purificatrice, qui nous permette de faire un saut en direction d’une futur meilleur..
SF : Avec un programme commun pour sauver la Terre ?
LB : Une nouvelle bio-civilisation devrait reposer sur quatre axes essentiels :l’usage durable, responsable et solidaire des ressources et des services limités de la nature ;le contrôle démocratique des rapports sociaux, spécialement celui des marchés et des capitaux spéculatifs ; un ethos minimum mondial qui doit naître de l’échange mutuel multiculturel, basé sur la compassion, la coopération et la responsabilité universelles ; la spiritualité comme dimension anthropologique et non comme un monopole des religions. Elle doit se développer comme expression d’une conscience qui se sent partie d’un Tout majeur, qui perçoit une énergie puissante et qui représente le sens suprême de tout.

vendredi 16 octobre 2009

Et si l’arbre climatique cachait la forêt des conflits armés ?

par Ben Cramer, 1/9/2009

Version española: ¿Y si el árbol climático escondiese el bosque de los conflictos armados?
Versione italiana: E se l'albero climatico nascondesse la foresta dei conflitti armati?

Tout va donc se jouer en décembre 2009 ? La thèse selon laquelle la protection de notre chère planète passe par la préservation de la couche d’ozone et une réduction d’ici 2020 de 20 % des gaz à effets de serre pour les Européens, est dans l’air du temps. Et selon le kit de survie, le prochain sommet de Copenhague est l’horizon indépassable. Formule choc, mais bien réductrice.
Loin de vouloir ironiser sur les urgences ou de proposer une autre hiérarchie des priorités, notre survie — dont il serait question à Copenhague — ne dépend-elle pas tout autant du sort qui sera réservé aux armes nucléaires ? Eu égard au rôle qu’elles jouent dans les questions climatiques, eu égard aux ressources financières qui sont détournées à leur profit et parce que ces armes sont destinées à défigurer et dévaster la planète… durablement, la question mérite d’être posée.

Une mobilisation désarmante

Le 29 août dernier, quelques 10 000 personnes se sont retrouvées sur la plage d’Ostende en Belgique afin de tourner un clip appelant à l’action contre les changements climatiques. Ce film deviendra un outil de mobilisation dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur le climat, qui aura lieu à Copenhague début décembre.
L’ultimatum climatique est une campagne s’intégrant dans la mobilisation internationale pour obtenir à Copenhague 2009 un accord à la hauteur des enjeux. « Plus que jamais l’avenir du climat se joue entre nos mains », clame la pub de la Revue Durable. Tout le monde y va de sa formule choc pour évoquer le temps détraqué. Le président Sarkozy, s’exprimant devant la conférence des ambassadeurs (le 26 août 2009), a déclaré : « Il n’y a pas de session de rattrapage, ce sera Copenhague en décembre ou çà ne sera pas ». Si l’on en croit le porte-parole de Greenpeace France, « cette année, compte tenu de l’importance de la conférence de Copenhague qui doit absolument aboutir à un accord fort et ambitieux pour faire face à l’urgence, la majeure partie de notre travail porte sur les questions climatiques. C’est notre cheval de bataille ».
Selon le Réseau des étudiants français pour l’éducation au Développement Durable, 75 % des étudiants considéraient en 2008 que la question des changements climatiques est un problème d’une telle ampleur qu’il doit devenir une préoccupation croissante dans la vie. « Les jeunes gens du monde entier forment la génération qui héritera des décisions que les gouvernements doivent prendre dans moins de 110 jours », a ainsi rappelé à Nairobi le directeur exécutif du PNUE, Achim Steiner. Alors qu’il ne restait que 100 jours d’ici à la Conférence sur les changements climatiques de Copenhague de décembre 2009, le PNUE a lancé le 28 août sur Internet la campagne « Seal the Deal ! » (l’heure de conclure !), qui vise à recueillir des millions de signatures pour une pétition sur le climat.

Un Protocole calqué sur le TNP ?

Serge Sur, l’ancien directeur adjoint (1986–1996) de l’Institut des Nations Unies pour la Recherche sur le Désarmement (UNIDIR) écrit : « En globalisant la menace, on la diffuse vers une culpabilité générale et impersonnelle dont plus personne n’est précisément responsable… »[1]. Mais ne nous arrêtons pas aux généralités. Le protocole de Kyoto épargne les plus grands émetteurs de la planète et cela rappelle d’autres arrangements internationaux. Les gros producteurs de mines anti-personnel ne sont pas parties prenantes à la Convention d’Ottawa. Le Traité de Non Prolifération Nucléaire (TNP) à « vocation universelle » est un autre cas d’école. Si le TNP est au désarmement nucléaire ce que Kyoto est au changement climatique, toutes les promesses sont possibles, les échappatoires et les tricheries aussi. Quatre puissances nucléaires (Corée du Nord, Inde, Israël, Pakistan) sur les neuf le boycottent et/ou s’en méfient. Quant aux cinq puissances qui ne boudent pas (ou plus) ce traité, et qui font nolens volens la pluie et le beau temps au Conseil de Sécurité de l’ONU, aucune n’a l’intention de se priver de sa quincaillerie nucléaire et chacune en détient suffisamment pour provoquer des perturbations climatiques conséquentes. Cherchez l’erreur.
Les trois sphinx de Bikini, Salvador Dali, 1947, collection privée.
Les trois sphinx de Bikini. Salvador Dali, 1947, collection privée

Et les brumes de guerres ?

Curieusement, avec la mobilisation sur « la clim », le politiquement correct consiste à dissocier deux phénomènes : la dégradation environnementale et la militarisation du monde. Les lecteurs de Notre survie à tous de Brundtland ont dû traverser quelques zones de turbulences amnésiques. Certes, l’ouvrage est complètement passé inaperçu en France… à sa sortie… mais puisque cette « bible » (ou coran) du développement durable est si souvent citée, rappelons que le chapitre 11 est entièrement consacré au lien entre paix, sécurité, développement et environnement. On peut y lire que les armes nucléaires représentent « la plus grande menace pour l’environnement et le développement durable ». Un moyen de convaincre les politiques — ou du moins ceux qui en doutaient — que toutes les guerres sont anti-écologiques[2]. Et surtout qu’un conflit atomique n’aurait pas de vainqueur et qu’un seul perdant : la planète[3]. Les militants anti-CO2, qui feront le pèlerinage dans la capitale danoise, semblent hélas peu déterminés à se mobiliser pour le 21 septembre, la journée mondiale de la paix. En tout cas, tant que les neuf puissances dotées d’armes nucléaires sont capables de débloquer en 24 heures, juste pour maintenir en état et moderniser leurs arsenaux, l’équivalent de ce que le PNUE dépense en un an, les financements pour éviter la fonte des banquises seront toujours difficiles à trouver[4]. Disons le autrement : ce que le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) consacre en 2008 à des projets « d’adaptation au changement climatique » , soit 26 millions de dollars, équivaut à deux jours de l’enveloppe budgétaire prévue (dans le budget défense) pour notre « dissuasion ».

La pollution militaire

La militarisation, ennemi public no 1 de la démocratie, est aussi l’ennemi de la sauvegarde de la qualité de la vie et — venons-en à l’essentiel ! — de la vie tout court. On peut nier ce lien, bien sûr, au point de nous faire croire que ceux qui détiennent 25 000 ogives nucléaires ciblent la planète Mars, tirent « à blanc » et font « joujou » tout simplement, en s’appropriant 1 % de la superficie terrestre — le nombre de km² réservés au maniement des armes. La vingtaine de sites qui ont servi — 2 059 fois ! — de lieux d’essais d’ogives nucléaires, ne connaîtront pas le retour à l’herbe. Les zones condamnées le sont pour les générations futures (pas seulement sur l’atoll de Bikini que les habitants ont dû abandonner lors des essais nucléaires américains de 1954 sans jamais pouvoir y retourner). Aux alentours des atolls les plus fragiles (d’Amchitka aux Îles Christmas en passant par Kwajalein), la détection de la pollution marine mériterait autant d’attention que la recherche d’une boîte noire, ou la traque de pirates et réfugiés. Si pour certains militaires, l’empreinte écologique de toutes ces activités est un détail, le changement climatique ne les épargne pas : leurs infrastructures vont trinquer avec la montée des eaux. Une île comme Diego Garcia, par exemple, que le Pentagone s’est approprié en 1965 après avoir déporté ses habitants, est en sursis : la piste qu’empruntent allègrement les B-52 et les B-2 (dits furtifs) pour bombarder l’Afghanistan et l’Irak sera bientôt inondée.

Nucléarisation et « hiver nucléaire »

Quand les militants branchés sur Copenhague avertissent « The climate is ticking », la formule est empruntée. Pourquoi cette OPA ? L’horloge de l’apocalypse, ce sont les physiciens qui l’ont mise en place en 1947, par rapport à la bombe atomique et le compte à rebours est déplacé en fonction des menaces… nucléaires. Allons plus loin dans la paternité des événements et des réflexions : ceux qui ont dénoncé les arsenaux nucléaires et contré leur pouvoir de séduction ont aussi été les premiers lanceurs d’alerte en matière climatique. Il y a plus de vingt cinq ans, des scientifiques — dont l’astrophysicien Carl Sagan, Paul J. Crutzen du Max Plank Institut à Mayence, Richard P. Turko de l’Université de Californie —, ont brandi le scénario de « l’hiver nucléaire »[5]. Dès lors, la boulimie nucléaire des Super Grands a été maîtrisée et la course délirante aux mégatonnes[6] fut interrompue. Ce scénario, qui n’a rien à voir avec des « variations saisonnières », démontrait (par simulation) qu’en cas d’échange, de « tirs croisés » de la moitié des ogives détenues à l’époque par Moscou et Washington, l’hémisphère Nord se trouverait plongé dans un climat glacial jusqu’à ce que les poussières rejetées dans l’atmosphère soient retombées au sol. Ces particules, en suspension dans l’atmosphère, agiraient comme un écran et bloqueraient les rayons solaires durant plusieurs mois. Privée de lumière et de chaleur, la végétation ne pourrait survivre et cela entraînerait la rupture de la chaîne alimentaire. Dans les zones nordiques, il suffirait que la température descende de 1 ou 2 degrés pour que les récoltes gèlent. Un refroidissement sur le plateau tibétain, freinant son réchauffement pendant la saison d’été, supprimerait l’appel d’air chargé d’humidité venant de l’océan, empêchant ainsi la mousson d’apporter les pluies indispensables à la vie de l’Inde et du Pakistan.

Des vérités qui dérangent ?

La solidarité internationale est le parent pauvre du développement durable.
Le problème de la solidarité internationale est aussi grave que celui du changement climatique et du réchauffement de la planète. Si cet aspect de solidarité n’existe pas, nous assisterons à des déplacements de populations entraînant des conflits difficiles à maîtriser…
Le GIEC estime que la menace d’un changement climatique progressif et ses impacts (…) ne sera pas grave au point de représenter une menace pour la sécurité. Et pourtant. Si le gouvernement canadien prévoit de débloquer 10 milliards de dollars pour construire des navires de guerre qui vont patrouiller dans l’Arctique, est-ce par pure coïncidence et sans rationalité géopolitique ?
Parmi les vérités qui dérangent, on pourrait se demander pourquoi l’empreinte écologique des forces armées et des systèmes d’armes est un sujet tabou. Admettons que les climatologues et leurs acolytes soient indifférents aux questions militaires. Mais l’inverse ne colle pas : les forces armées ont su utiliser l’environnement à leurs fins. Prenons le cas de la déforestation qui joue son rôle dans les perturbations climatiques : la dioxine épandue avec des avions C-123 Provider est allée de concert avec la devise affichée par la US Air Force « Only we can prevent forests » lors de leurs opérations au Vietnam (1961–1975). Curieusement, les militants qui « tremblent »[7] pour le climat ont tendance à zapper la célébration du 6 novembre, la journée internationale pour la prévention de l’exploitation de l’environnement en temps de guerre et de conflit armé.
Si l’Antarctique est encore plus ou moins préservé, c’est parce qu’il a été dénucléarisé et démilitarisé dès 1959[8]. Depuis, l’environmental warfare (pour briser les équilibres d’un écosystème par exemple) s’intéresse plus particulièrement à investir l’espace, le cosmos comme disent les Russes : une arène d’affrontement militaire avec pour décor principal plus de 2 800 engins spatiaux. Mais tous ceux qui manient parfaitement les acronymes du GIEC ou de l’IPCC (version anglo-saxonne) calent devant le sigle PAROS (Prevention of an Arms Race in Outer Space), bref, la militarisation de l’espace extra-atmosphérique. À l’heure où tout le monde a une pensée émue pour la couche d’ozone de l’atmosphère, les fusées qui consomment 15 tonnes de combustibles par seconde font moins de pub que les 4×4 et les limitations de vitesse pour missiles.

Copenhague dans le rétroviseur

Revenons au climat. Lorsque la fièvre de Copenhague sera retombée, peut-on anticiper une révision des priorités sur tout ce qui risque de nous tomber sur la tête ? Déjà en 1991, la Commission Trilatérale estimait que « la crainte d’un conflit nucléaire, qui a exercé une pression psychologique considérable à une époque, [...] est en train de s’estomper. Mais certaines menaces environnementales pourraient finir par exercer la même pression dans l’esprit des peuples. [...] » si l’on en croit le rapport intitulé Beyond Interdependance.
Il m’apparaît plutôt que la pression pourrait être soutenue, amplifiée si l’on garde en tête qu’une menace ne doit pas se substituer à une autre et que le compartimentage ne fait avancer que les œillères. Certes, le front des ONG pour le désarmement nucléaire ne bénéficie pas d’une force de frappe médiatique équivalente à celle des ONG écologistes, ni d’un consensus sur la gravité de l’enjeu. Mais puisque j’ai fait référence aux tractations de la diplomatie atomique, évitons les mêmes écueils et des déceptions similaires. L’après-Kyoto peut être l’occasion de répertorier à la fois les acteurs vertueux, ceux qui s’engagent de façon différenciée, même à reculons et les voyous arrogants ou discrets qui ne méritent pas un traitement d’exception et/ou de faveur.

Notes


  1. Questions Internationales no 38, juillet–août 2009, La Documentation Française, 90 pages, dont 2 pages (sic) sur la sécurité et les études stratégiques. [remonter]


  2. Les dégradations procèdent de la déclaration de guerre, les dégâts financiers peuvent se facturer comme des dégâts de guerre… Cf. article sur crises, guerres et paix, 24 mai 2009. [remonter]


  3. Umberto Eco, Cinque Scritti Morali, Bompiani, Milano 1997. [remonter]




  4. Paul Ehrlich, Carl Sagan, Donald Kennedy, Walter Orr Roberts, Le froid et les ténèbres, Belfond, 1985 ; traduit de The Cold and the Dark par WW Norton & Company, New York, 1984. [remonter]


  5. Mégatonne : unité de puissance d’une arme nucléaire qui équivaut à un million de tonnes de TNT, soit 1 000 kilotonnes, soit 66 fois la puissance d’Hiroshima. [remonter]


  6. Si l’on tape « Greenpeace », « climat » et « dramatique », Google met à la disposition de l’internaute 11200 pages en français. [remonter]


  7. Le Traité de l’Antarctique interdit les essais nucléaires, le recours à des bases militaires et le dépôt ou l’enfouissement de déchets nucléaires. [remonter]



Si près du but par David Lihard




mardi 13 octobre 2009

À propos d'un documentaire d'ARTE


Mardi 13 octobre 2009

Ceci est un communiqué des éditions l’Esprit frappeur
Nous souhaitons réagir à propos de la diffusion de Déchets : le cauchemar du nucléaire, documentaire réalisé par Eric Guéret et Laure Noualhat, sur Arte, le mardi 13 octobre 2009, à 20h45.
La qualité de ce travail – « une enquête coup de poing », dit le réseau Sortir du nucléaire – nous oblige a ajouter ici un bémol. Si ceci est très bien, cela aurait été encore mieux en mentionnant ses sources…
L’occultation des sources d’information, sur des sujets aussi sensibles que le nucléaire, ne facilite pas la compréhension.
Pour le grand public, la citation d’ouvrages à des prix abordables, accessibles à tous, documentés et référencés, est importante et complémentaire.
Cela aurait l’avantage de présenter des sources plus équilibrées, et d’éviter de donner l’impression que le sujet n’a pas été sérieusement fouillé pour la réalisation du documentaire que vous présentez, et dans le livre tiré de cette enquête, co-édité par Le Seuil et Arte.
Plusieurs ouvrages, parus récemment, auraient mérité de figurer dans les références bibliographiques, sur le site Internet de la chaîne Arte dédié à cette soirée, à la fin de la diffusion du documentaire – et au cours du débat qui suivra –, comme dans ce livre-enquête.
En ce qui nous concerne, vous trouverez dans le catalogue des éditions Esprit Frappeur, les ouvrages :
* Perline, Tout nucléaire, une exception française (1997 – 1,5 euro) EF007
* Bella et Roger Belbéoc’h, Sortir du nucléaire, c’est possible, avant la catastrophe ! (2002 - 3
euros), EF020
* Roger Belbéoc’h, Tchernoblues, de la servitude volontaire à la nécessité de la servitude (2002 – 4
euros), EF105
* Ben Cramer et Camille Saïsset, La descente aux enfers nucléaires, Mille milliards de becquerels dans la terre de Bure (2004 – 6 euros), EF128
Et c’est particulièrement pour ce dernier ouvrage – qui porte sur le même sujet que cette émission d’Arte et le livre qui l’accompagne – que l’on s’étonne aujourd’hui.
Camille Saïsset, co-auteure de La descente aux enfers nucléaires, s’est émue la première :
« Ce mercredi soir, grande soirée sur les déchets nucléaires sur Arte. Un documentaire suivi d’un débat avec PPDA... En effet, en parallèle de la réalisation de ce docu d’Eric Guéret et Laure Nouhalhat, un livre-enquête a été écrit par celle-ci, deux œuvres qui portent le même titre :
Déchets : le cauchemar du nucléaire. »
« Jusque-là, tout va bien, à peu près.
En effet, notre ouvrage La Descente aux Enfers nucléaires, mille milliards de Becquerels dans la terre de Bure, paru aux éditions l’Esprit Frappeur en juin 2004, ne figure pas dans la biblio de cet ouvrage sorti ce 8 octobre ; sur la dizaine de titres cités, figurent par contre deux d’Anne Lauvergeon, la patronne d’Areva... Dans le cadre, de l’annonce de la soirée télévisée, sur le site de Arte, se trouve un onglet biblio.. Une liste d’ouvrages
qui seront probablement repris par PPDA à l’antenne le jour dit. »
« Là encore, pas La Descente aux enfers nucléaires...
"Biblio peut-être pas complète", dirait l’auteur. Le webmaster d’Arte aurait été averti de l’existence de notre ouvrage et pourtant, rien... »
Son co-auteur, Ben Cramer, renchérit :
« Il est étonnant de voir que La descente aux enfers nucléaires ne soit pas référencé, alors qu’il l’a été à la Cité des Sciences, par les autorités de sûreté nucléaire, il y a deux ans, et qu’il contient lui-même 8 pages de bibliographie et aucun livre de pub d’Areva. »
« Il est étonnant de voir que le titre est tellement proche entre “descente aux enfers” et “cauchemar”. »
« Il est surprenant que certaines infos sur l’international et sur le lien civil/militaire se recoupent sans qu’il y ait le moindre renvoi aux sources d’inspiration… »
« Peut-être que ces silences s’expliquent par le fait que, dans cette affaire des déchets de Bure, il y a de grosses casseroles que La descente aux enfers nucléaires n’hésite pas à dénoncer :
– tabou : la mort d’une victime sur le chantier ;
– un invalide à vie dû au chantier ;
– géographie : un continuum depuis Moronvilliers en passant par Valduc ;
– une critique en règle des opposants qui ne s’opposent pas beaucoup, (et s’opposent toute
autocritique) ;
– la perspective d’un chantier à finalité pas seulement expérimentale ;
– et la perspective d’un site pas seulement français mais européen. »
Quoiqu’il en soit dans cette affaire, profitons de l’occasion pour dénoncer ici le fait que l’on peut voir fréquemment des éditeurs ou des médias institutionnels ignorer purement et simplement le travail d’éditeurs indépendants, rarement mentionnés, souvent pillés…
Ce mécanisme tend à conforter un système monopolistique de diffusion de l’information, dont il est à craindre qu’il tend au contrôle de l’espace critique. Même et y compris quand il s’agit, comme ici, de diffuser une information critique, le fait qu’on prenne soin au passage de nier l’existence d’autres
travaux critiques, nous oblige à dénoncer cette entreprise encensée par ailleurs à juste titre.
Dans le parcours de l’édition critique, on aura souvent vu de fausses critiques se substituer aux vraies. On sait que c’est un soucis constant du pouvoir que de contrôler sa propre critique. Serait-on
ici dans un cas semblable ?
Contact presse : Farid 06 14 81 56 79

vendredi 9 octobre 2009

Le bouclier européen prend le large


Par Ben Cramer, CIRPES,  9/10/2009

Obama a coupé dans un budget qui a atteint cette année 9,2 milliards de dollars (soit une hausse de 74 % depuis 2001). Certes, le sacrifice financier est relatif : 360 millions U$ pour développer et tester les intercepteurs en Pologne, 77 millions pour le radar (European Midcourse Radar), transféré depuis Kwajalein, 27 millions pour l’ European Global Engagement Manager et le système de communications entre les deux sites. Mais voilà que les acteurs du théâtre européen tablent désormais sur un rapprochement Moscou-Washington, à la fois pour débloquer l’agenda du désarmement, en panne depuis dix ans, et pour briser les capacités de nuisance de certains Etats peu sensibles aux sirènes sur le surarmement nucléaire, peu réceptifs à la volonté américaine depuis Ronald Reagan et Edward Teller de rendre les armes nucléaires (...des autres) « impuissantes et obsolètes » [1]. Quel que soit le caractère déstabilisant du système et sa faisabilité technique, plusieurs leçons peuvent déjà être tirées du dernier épisode du feuilleton antimissile
Une menace qui n’existe pas

Noam Chomsky exagère un peu en affirmant que les probabilités pour que les Iraniens utilisent leurs missiles pour attaquer l’Europe sont inférieures à celles que l’Europe soit touchée par un astéroïde. Mais si les Européens veulent jouer à se faire peur, leur territoire n’a subi qu’un missile libyen (en 1986), un seul Scud bricolé qui s’est écrasé comme un pétard mouillé quelque part près de Lampedusa ; et ce depuis les V-2 de l’Allemagne nazie - qui ont fait plus de victimes parmi les déportés en Allemagne que parmi la population civile au Royaume-Uni. Lorsque le secrétaire d’Etat (U.S.) à la Défense Robert Gates annonce que la menace de missiles iraniens de longue portée n’est "pas aussi immédiate qu’imaginée auparavant", l’Europe admet qu’aucun Etat voyou, ex-‘Rogue States’ ou ‘proliférants ‘ ne possède de missiles ayant une portée de l’ordre de 5 000 à 8 000 kilomètres. Mais enfin, un système « qui ne marche pas pour faire face à une menace qui n’existe pas », pour reprendre l’expression de Joseph Cirincione [2], peut difficilement être une success story de la diplomatie. Les peuples européens - qui n’ont pas été consultés au sujet de cette ligne Maginot étoilée - sont-ils convaincus qu’un missile en partance d’Iran [3] pourrait atteindre le territoire américain en passant par Prague ou Varsovie ? “Comme on dit chez nous [en Russie] , c’est comme si l’on utilisait la main droite pour atteindre son oreille gauche”, ironisait Vladimir Poutine [4] à la Wehrkunde, en février 2007. En tout cas, ce n’est pas la première fois que nos protecteurs biaisent avec les lois de la balistique : il n’y a pas si longtemps, des missiles stationnés à Comiso étaient censés protéger l’Atlantique nord des méfaits des SS-20 braqués sur l’Ouest du continent.

L’Europe marginalisée

Alors que la défense européenne est toujours dans les limbes, alors que des menaces graves et plus immédiates que la menace balistique devraient crever l’écran du radar politico-militaire avec les Balkans et Chypre en ligne de mire, la contre-prolifération domine curieusement le calendrier de la sécurité. La frustration de ne pas s’activer à la militarisation de l’espace (en jouant dans la cour des Grands) dépasse la volonté affichée de décrocher sérieusement du marathon de l’armement. Certes, ce qui est bon pour Prague ou Varsovie n’est pas forcément bon pour l’Europe ; certains dirigeants et pas seulement à Berlin l’ont compris. Mais pas tous. Avant même qu’Obama revienne sur les engagements qu’il avait pris à Prague [5] l’UE avait donné son feu vert pour financer l’amélioration des infrastructures civiles dans un rayon de 10 km autour de la station radar. Le site polonais censé accueillir des Intercepteurs basés au sol , des Ground-Based Interceptors [GBI pour les intimes ] de la taille d’un missile balistique intercontinental Minuteman, eût été la copie conforme (sur 300 hectares) de Fort Greely. Mais l’Europe, même la ‘nouvelle Europe’ se vit-elle comme une autre Alaska ? Dans cette Europe si soucieuse de son environnement, les retombées éventuelles de la destruction de missiles dans le ciel européen n’ont pas suscité la moindre indignation au nom du principe de précaution. Au contraire. « Aucun Etat européen, du moins je l’espère, ne refuserait le risque d’une petite pluie de fragments sur son territoire si c’est le prix à payer pour sauver une nation amie ou un pays allié d’une attaque de missiles », déclarait récemment un officier britannique. Dans le cadre d’un cosmos militarisé, où la gestion des débris n’est donc qu’un détail, les dirigeants européens avaient pourtant des motifs légitimes d’inquiétude. Que les GBI ne transportent pas d’ogive (nucléaire) mais ‘seulement’ des charges conventionnelles destinées à détruire des missiles, est-ce la panacée pour minimiser les impacts ? Faire croire aux opinions publiques qu’une dizaine de missiles intercepteurs ne vaut pas la chandelle d’une guerre froide est purement rhétorique car le pays « hôte » ne gère pas plus le nombre d’intercepteurs qu’il ne gère le nombre de missiles embarqués sur les bases aériennes de l’OTAN.
La force multilatérale de 1958

L’initiative stratégique U.S. s’est inscrite dans un cadre bilatéral (Etats-Unis/Pologne ; Etats-Unis/République tchèque) ; ce schéma va perdurer et Ankara détiendra ‘ses’ Patriot’ avant Varsovie. De toute façon, avec ou sans Brdy et Redzikowo, le système d’alerte avancée survit à Fylingdales au Royaume-Uni, à Vardo en Norvège, sans oublier Thulé où 440 Danois et 110 Groenlandais travaillent dans cette base agrandie et relookée à grand frais (500 millions U$). Pour une Europe qui se rêve parfois ‘ni pute ni soumise’, les dés sont plutôt pipés. Les promoteurs du bouclier verront dans les récentes délocalisations un remake de la Multilateral Force, (MLF) de 1958, quand les Etats-Unis proposèrent de mettre à la disposition des alliés des engins Polaris basés sur des navires de surface ou des sous-marins et composés d’équipages mixtes, multinationaux. Demain, avec la version maritime du BMD, le déploiement de croiseurs Aegis équipés d’intercepteurs SM- 3, la défense anti-missiles prend le large avec des navires capables de sillonner de la Méditerranée au Golfe persique en déviant par exemple vers l’Océan Indien...

[1] discours du 23 mars 1983

[2] President du Ploughshares Fund

[3] Le nom du missile, selzal, veut dire tremblement de terre en persan
[4] traduction Novosti

[5] ‘The Czech Republic and Poland have been courageous in agreeing to host a defense against these missiles... B. Obama, 4 avril 2009)




dimanche 24 mai 2009

La crise, les crises entre guerres et paix

Pour une autre grille de lecture
par Ben Cramer, 24/5/2009

Quelles réponses la crise actuelle provoque-t-elle ? On aurait pu croire qu’elle obligerait les Etats, notamment au sein de l’Union européenne, à relancer les processus démocratiques. Loin de là, on voit plutôt ressurgir une économie de guerrière et sécuritaire.




Nous allons assister à un phénomène assez surréaliste : quel que soit le nombre de victimes de la réglementation boursière, ou du dérèglement climatique, la croissance zéro que nous prédisent les experts de l’OCDE risque d’aller de pair avec une croissance zéro de la démocratie. Une mise au pas de ceux qui ne vont pas se satisfaire du statu quo et qui estiment qu’ils n’ont pas à payer les pots cassés du néolibéralisme, même celui qui se refait un lifting avec interventionnisme de l’Etat et greenwashing à l’appui.

La croissance zéro de la démocratie correspond à une logique de pacification auquel recourent aisément des élites en mal de légitimité. D’ailleurs, la croissance économique zéro aménagée sur fond de crise écologique va s’accompagner ou plutôt se traduire par une croissance de la militarisation ; le boom du secteur de l’armement – un secteur qui ne connaît pas la crise – est là pour nous rappeler qu’il prospère à l’ombre des idéologies sécuritaires. Or, si l’on se réfère aux Etats-Unis, seule une reconversion totale d’une économie qui ne vit que par et pour le complexe militaro-industriel pourrait sortir le pays de l’endettement et conduire un réel développement social.

Qu’on nous parle d’égalité des chances ou égalité des malchances, la relance démocratique – qui permettrait à tout un chacun d’avoir la tête hors de l’eau et d’avoir son mot à dire dans la marche du monde –[1] ne figure dans aucun programme de la sortie de crise.

A l’Ouest, rien de nouveau ?

Dans les années 70, la Commission Trilatérale développait ses thèses insolites sur l’avenir de la démocratie. Tout adepte de la décroissance ferait d’ailleurs bien de relire ce chef d’œuvre du genre (Maurice Goldring, Editions Sociales, 1978) que la gauche dans son ensemble n’a peut-être pas pris la peine d’évaluer à sa juste mesure. A l’époque, le nouvel ordre économique international faisait débat au sein des instances onusiennes et certaines voix tiersmondistes ou « non alignées » revendiquaient le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Depuis cette époque, beaucoup d’eau (polluée) est passée sous les ponts. Avec le dernier sommet du G20, nous savons que la « sécurité alimentaire mondiale » (par exemple) est laissée à la merci des « contributions volontaires bilatérales ». Les engagements de progrès social et les efforts de rattrapage accordés aux exclus du progrès, tels que prévus lors du Sommet du Millénaire et affichés dans les Objectifs font figure de reliques du passé et risquent de tomber dans les oubliettes de l’Histoire. Selon les derniers chiffres de la Commission de l’assistance au développement de l’OCDE concernant 2007, le total des promesses d’assistance en matière d’éducation de base sont passées de 5,5 milliards de dollars en 2006 à 4,3 milliards en 2007, soit une baisse de près de 22 %. Le rapport de l’UNESCO prévient de façon fort diplomatique que le monde risque de ne pas atteindre les objectifs fixés par la communauté internationale à Dakar en 2000. Les prévisions indiquent que l’objectif d’une éducation primaire universelle d’ici à 2015 ne sera pas atteint.

Europe(s), paix & environnement

Les rétrospectives ne sont pas inutiles. A l’ombre des années de plomb, VGE venait en 1977 inaugurer le Palais de l’Europe à Strasbourg. Plutôt que d’y associer les peuples du Conseil de l’Europe, les Six de la CEE paradaient avec « leur » convention européenne antiterroriste. Un avant-goût de la forteresse Europa et la mort annoncée du droit d’asile. Hélas, la nouvelle génération a occulté les tares originelles de cette construction européenne. Tout comme la famille écologiste occulte souvent le fait que Hiroshima et Nagasaki sont les événements fondateurs de l’écologie politique. Cette Europe a-t-elle transformé notre vision du monde ?

Selon un sondage CSA/EuropaNova/Nouvel Observateur publié à la veille du 50e anniversaire du Traité de Rome (1957-2007), les Français estimaient que, dans les prochaines années, l’Europe (les 27 membres de l’UE) s’illustrera principalement dans le monde par son action en faveur de l’environnement et de la paix. Ce sondage peut paraître quelque peu anachronique. Pourquoi ? Pas parce que ces mots, à force d’être scandés, ont fini par être vidés de sens. Pas seulement parce que les hommes et femmes qui incarnent ces valeurs se font rares, mais surtout parce que les priorités sont ailleurs. Aux yeux de 68 % des citoyens européens (de l’UE), le problème qui leur paraît le plus sérieux, ce n’est pas le terrorisme international (53 %), ni le péril climatique (62 %) mais… la pauvreté ! L’information ne vient pas de la Délégation à l’Information et à la communication de la Défense (DICOD). Elle a pour source l’UE via l’Eurobaromètre (octobre 2008). Les adeptes de la décroissance doivent donc un peu changer leur fusil d’épaule et revendiquer en priorité la décroissance des inégalités sociales, la seule décroissance qui n’a pas vraiment été prévue.



Quelle sortie verte de la crise ?

Face à la crise écologique qui se propage, ou qui trouve des oreilles plus attentives, il serait illusoire de faire abstraction des dégâts sociaux (« collatéraux » !?) sous prétexte qu’on mette en relief les ravages du gaspillage. La fétichisation de la marchandise n’a pas transformé le monde en un vaste supermarché. Mais les dépotoirs s’exportent bien, tout comme vont s’internationaliser les poubelles nucléaires. Dans l’optique de l’économie du pire ? L’Europe a vécu sa première crise pétrolière en tournant le dos aux recommandations du Club de Rome… mais n’avait pas conçu de plan de relance de… la pollution, comme elle vient de le faire lors du dernier sommet du G20. A ce propos, peut-on relancer l’économie autrement ?

Achim Steiner, directeur exécutif du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), estime que la crise est une opportunité et qu’il faut profiter de l’occasion de relancer l’économie, s’engager aujourd’hui dans un véritable « »New Deal vert’ pour éviter le krach écologique. A l’instar du président américain Franklin D. Roosevelt, qui avait lancé son « New Deal » pour sortir de la dépression des années 1930, Steiner a présenté son plan pour en finir avec la crise : 750 milliards de dollars d’investissements, notamment dans le développement des énergies renouvelables. Après tout, pour ceux qui sont effrayés par les chiffres, rappelons que cela ne représente que 1 % du PIB mondial. Soit, si l’on se base sur les chiffres de Stiglizt, le coût des guerres en Irak et en Afghanistan (à raison de 150 milliards $ par an, soit 17,1 millions $ par heure ). Ou encore… le budget annuel de la défense des Etats-Unis (620 milliards $ officiels, excluant les opérations militaires en cours).


Revoilà l’« économie de guerre »

On peut sans doute considérer que la destruction de richesses prélevées sur les activités sociales et productives du monde, par l’entrée en crise systémique de ce nouveau régime d’accumulation financière, est équivalente aux destructions économiques d’un conflit militaire mondial. Mais ce constat ne suffit pas. Désormais, la gestion de la crise, des crises (écolo-économico-financières), va s’accompagner de nouvelles conflictualités et se nourrir d’elles. Ici et ailleurs. En raison de la crise écologique, les conflits de faible et moyenne intensité – un concept qui fait écho à la souplesse dans la consommation des arsenaux, à la furtivité des opérations punitives et à la puissance modulable des charges (têtes) nucléaires – ont un grand avenir devant elles. Pourquoi ? Parce qu’une lutte à mort va s’engager pour s’accaparer les matières premières et autres ressources périssables (en voie de disparition). Les États/territoires qui détiennent des matières premières (uranium) ou autres minerais stratégiques, ou pierres précieuses (diamants) risquent quatre fois plus que d’autres de faire les frais d’un conflit armé dans les années qui viennent. Selon le WorldWatch Institute (2005), l’exploitation et (puis) le commerce des matières premières – joueraient un rôle dans environ un quart (¼) des 50 guerres et conflits armés.

Coïncidence du calendrier, bien sûr, les perturbations climatiques sont perçues au Pentagone, tout comme à la tête de la Commission Européenne, comme « un facteur multiplicateur de conflits »[2].

Le maintien de l’ordre

En attendant le sauve-qui-peut des banquiers, le gonflement des dettes publiques – une arme supplémentaire contre les générations futures – une stratégie de pacification est mise en scène sur le front intérieur car la croissance de la misère n’est pas perçue comme un symptôme mais comme une menace. Pour casser le mouvement social, les dirigeants de cette « Europe truquée » (comme disait Claude Bourdet) ont misé sur leur vision transnationale, histoire de renverser le rapport de force en faveur de ceux et celles pour qui les frontières incarnaient une relique d’une vieux monde braqué sur la ligne bleue des Vosges et incapable de se mondialiser. L’OTAN y a beaucoup contribué. La répression française en Algérie a été présentée à Paris comme « liée au système de sécurité atlantique ». Plus tard, la Sainte-Alliance s’est illustrée avec la stratégie de la tension en Italie. D’ailleurs, si l’on y regarde d’un peu plus près, la priorité du maintien d’un certain ordre explique en grande partie l’ « OTANisation » officialisée de la France de Sarkozy. En effet, depuis les années 70 justement, les stratèges américains cherchent à faire comprendre à leurs alliés (européens) que l’OTAN n’a pas seulement pour objectif le maintien de l’intégrité territoriale mais aussi celui de « l’intégrité politique » (sic) de ses Etats membres (voir également Janet Finkelstein).

Avant de prétendre policer à l’est de l’Oural, l’OTAN s’est rôdée ailleurs. Tandis que sont rançonnés ici et là quelques « Etats en faillite » (sic), ou Failed States, les « pirates » en tout genre prolifèrent, ceux reconnus comme tels et les autres. Le brigandage qui a pris son essor entre Aden et les côtes somaliennes n’est peut-être que la réponse du berger à la bergère. En tout cas, nul ne pourra s’étonner outre mesure que les tenants de l’ordre nucléaire international ont propagé le concept d’Etats « voyous », conformément à leur vision des pauvres « naturellement » tentés par la délinquance.

La militarisation des relations internationales se conjugue subtilement avec une répartition internationale de la menace de mort et du travail répressif. Le maintien d’une certaine paix sociale à l’intérieur des frontières est lié à la capacité des élites de se positionner dans la hiérarchie internationale, en tant que distributeur d’uranium ou de marchand d’armes ou… les deux à la fois. L’OTAN, plutôt que se placer sous la tutelle des Nations Unies, tente de plus en plus de lui ravir la vedette en s’attribuant sous d’autres latitudes le rôle de gendarme international – même si elle ne survivra pas à une défaite sur les fronts afghans.

La guerre de tous contre tous ?

Certes, les dérives autoritaires peuvent éventuellement se combiner avec une trêve aux frontières, mais ne nous leurrons pas. Un conflit inter-étatique, inter-national est pour les élites politiques une béquille (avec ses variantes y compris la grippe dite ‘mexicaine’ par exemple), qui a pour fonction, la psychose aidant, de maintenir une certaine paix sociale. Cette paix est fragile et le recours aux délocalisations que préconisent les élites économiques n’aide pas à calmer le jeu. Aussi espère-t-on parfois miser sur des « mobilisations générales » face à des prétendues menaces extérieures, au risque d’ailleurs, par un effet boomerang qui dépasse tout le monde, d’entraîner un crescendo dans les conflits sociaux.

En attendant, il n’y a pas d’un côté la militarisation des relations sociales et puis parallèlement – comme le laissent entendre certains écolo-pacifistes, – un avenir radieux de désarmement nucléaire qui réconcilierait Gandhi avec Engels. Mettre en avant les bienfaits de la non-violence comme seul et unique rempart aux « méchants », comme seule alternative salvatrice à tout ce qui est militaire, est risqué : cela freine toute réflexion quant à l’interaction entre la militarisation et l’idéologie sécuritaire. On ne peut pas, d’un point de vue purement polémologique, compartimenter les fronts de lutte et doser la diffusion de la violence comme si elle serait forcément échelonnée dans le temps et limitée dans l’espace. Les violences sociales vont déboucher sur une montée des tensions géopolitiques et réciproquement.

Les OMD sont perçues comme des illusions perdues, au même titre que les « dividendes de la paix » qui devaient succéder, il y a vingt ans, à l’effondrement du Mur de Berlin. L’idée de mettre sur pied un fonds spécial du désarmement (pour le développement), comme le proposa en 1978 le président Giscard d’Estaing devant l’Assemblée Générale des Nations Unies a fait long feu. Depuis la médiatisation de la Taxe Tobin et la montée en puissance du mouvement Attac, on aurait pu développer l’idée de taxer les armes, les ogives nucléaires, certains systèmes d’armes, mais il semble que les économistes ne veulent pas trop s’attaquer à cette vache sacrée. Cet abandon n’est pas unique. Le « développement durable » semble lui aussi en perte de vitesse. Comme disait Alain Touraine au lendemain du 11 septembre : « Pardonnez mon extrême naïveté, ou mon extrême pessimisme, mais face à la guerre, on ne s’occupe que des gens qui sont tout près, qui sont de l’autre côté du champ de bataille. La guerre, par définition, est la négation de l’avenir et du lointain ».

La zone de turbulences que nous traversons va-t-elle frayer la voie à un programme Global Zéro nucléaire ? Quelques repentis de la dernière heure tels ces généraux et ex-responsables américains (dont Henry Kissinger) puisent dans une morale « reliftée » leur ardeur de peacewashing (en référence au greenwashing). Mais il faudrait rajouter, au risque de se brouiller avec des alliés de circonstances, que leurs incantations (peu convaincantes au demeurant) – sur la nécessité de démilitariser ou du moins dénucléariser les relations internationales – se gardent bien de soulever le seul sujet qui fâche : le fardeau plutôt inconvenant des dépenses qui y sont associées. Et pourtant…Le désarmement n’a aucune chance d’avoir le moindre impact ou un zeste de réussite s’il n’est pas associé au développement social, s’il exclut des retombées sociales. Au pays d’Obama, seule une reconversion totale d’une économie qui ne vit que par et pour le complexe militaro-industriel pourrait sortir le pays de l’endettement. Reste à savoir si la crise actuelle y conduit…

Et la relance… démocratique ?

Tandis que la crise financière débouche sur un retour de l’Etat et de la puissance publique, la question de la sécurité et toutes ses résonances revient au premier plan. Comment va-t-on faire fusionner sécurité civile, sécurité militaire, sécurité environnementale et maintien de l’ordre ? Si l’on parle ici de sécurité, il ne s’agit pas de la sécurité des biens, ni de la sécurité (militaire) qu’offre l’Amérique via son parapluie nucléaire et demain son gadget high tech de bouclier antimissile. Il ne s’agit pas non plus de la sécurité de l’emploi mais de la sécurité tout court, le plus court chemin vers le droit à la vie, notamment dans des pays où les travailleurs dans leur majorité ne disposent pas de sécurité (protection) sociale. « Moins d’argent pour les armes, c’est plus d’argent pour la sécurité », entre parenthèses la social security, voilà un slogan et un programme qui se propagent ces temps-ci parmi un réseau d’ONG indiennes. A l’heure où certains seraient tentés par de nouveaux efforts de guerre, la formule a du sens. Elle ne figure pas au programme des élites corrompues qui misent plutôt sur la rentabilité de la destruction, les dividendes de marchandises qui se consomment sur les théâtres d’opération. Mais une sortie de crise ne passe-t-elle pas par la démilitarisation de nos « avancées »économiques ?

Notes

1. « droit à l’accès juste pour tous à l’alimentation, au logement, à l’énergie, à l’éducation, à la santé, au transport, à l’information, à la démocratie et à l’expression artistique »

2. http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/99389.pdf. Là encore, la crise ne débouche pas sur un modus vivendi avec une mise en commun des moyens face à la généralisation de menaces pour l’humanité et une gestion rationnelle pour réduire nos empreintes destructrices. La crise climatique provoque même des réflexes surprenants. Ainsi, le célèbre agro-économiste Lester Brown, que consultent régulièrement les « grands » de ce monde, estime que nous devons entrer en « économie de guerre » (sic). Pour appuyer son propos, Lester Brown fait référence à la bataille de Pearl Harbor, de décembre 1941. Celle-ci opéra comme un « déclencheur » qui accéléra la conversion de l’économie américaine en une économie de guerre dans un temps record, dit-il. Il escamote au passage que ce fut aussi le déclenchement dès février 1942 de l’internement de 110 000 Japonais et citoyens américains d’origine japonaise dans des War Relocation Centers. Il oublie surtout que si les Etats-Unis ont un PIB supérieur à celui de l’Europe, c’est parce qu’ils ont toujours été en guerre, comme l’explique Jacques Le Cacheux ((économiste à l’Observatoire français des Conjonctures Economiques, il est l’un des rapporteurs de la Commission Stiglitz.







dimanche 15 février 2009

Coûts et blessures (suite) : Les dégâts des essais nucléaires – à quel prix ?


par Ben Cramer, février 2009

Nous nous étions habitués à croire que les essais nucléaires, c’est du passé. Un passé certes encombrant, mais du passé quand même. La preuve ? La plupart des Etats nucléaires respectent désormais le moratoire. Certains d’entre eux s’évertuent même à faire de la publicité en faveur d’un traité d’interdiction des essais, le fameux CTBT. Il a déjà été signé par une majorité d’Etats dans le monde et l’Amérique du président Obama pourrait aussi le ratifier en l’an 2009. Mais à l’intention du citoyen persuadé que les essais relèveraient du long fleuve tranquille de l’aventure nucléaire, il n’est pas inutile de rappeler le sort des victimes d’une guerre inavouée contre l’environnement. Il est temps aussi de responsabiliser les coupables face à des victimes qui n’ont pas/plus l’intention de passer pour des dommages collatéraux.

Tel un miroir, la question des essais renvoie aux béquilles sordides du nucléaire : colonialisme, non-transparence, non respect du principe de précaution, manipulation avec le recours délibéré et non accidentel aux cobayes humains, gâchis financier et refus du principe pollueur-payeur. (sous prétexte que les dégâts sont inestimables). Tout ceci au nom des intérêts supérieurs de la nation. Bien sûr.

Loin des yeux ….

Sur les deux premières caractéristiques (colonialisme et non transparence), le lecteur pensera inévitablement à notre cocorico, depuis ce jour de février 1960 à partir duquel le Général de Gaulle avait lancé son ‘Hourrah pour la France’. Un hourrah insolemment triomphaliste qui fait écho avec le même froid dans le dos au fameux ‘une révolution scientifique’ étalé dans les colonnes du quotidien ‘Le Monde’ au lendemain de la destruction d’Hiroshima. Mais n’exagérons pas l’exception française dans tous les domaines : cette prédilection est partagée par quasiment tous les compères du club nucléaire. L’uranium du Katanga a contribué au Projet Manhattan, l’uranium du Gabon et du Niger à la France et les meilleurs élèves du Commonwealth (riches en uranium comme l’Australie) n’ont pas seulement favorisé les paradis fiscaux. Le gouvernement de Sa Majesté a ‘dealé’ avec Canberra pour y effectuer ses premiers essais. Trêve de cachotterie, rappelons les 12 essais atmosphériques sur les iles Montebello, Malden Island, Emu Field et bien sûr les îles Christmas. (en présence de 300 habitants des Iles Fidji. Depuis cette épopée, Londres rechigne toujours à indemniser non seulement les militaires qui ont opéré sur les sites, mais aussi et surtout les Aborigènes qui avaient l’indécence de vivre dans les contrées proches de Maralinga. Notamment entre 1956 et 57, pour ceux qui ne furent pas déportés dans un centre à Yalata de 53 à 84. Les Soviétiques ont pu bricoler tranquillement à la fois à Semipalatinsk chez les Kazakhs qui ne demandaient pas tant d’attention, et aussi à Novaya Zemlya où une partie du peuple des Nénets a été déplacé pour ne pas dire déporté. (pour faciliter 224 détonations). Les responsables chinois, quant à eux, ont procédé à un Grand Bond (boum) en avant dans l’arène atomique dès la première explosion de Lop Nor (ou Lop Nur) en 1964. Nul besoin d’être un admirateur du Daïla Lama pour imaginer que leurs exploits eurent échoué si des centaines de milliers d’Ouighours n’avaient pas assuré la mise en place de toutes les infrastructures entre 1959 et 63. Les Américains ne se sont pas contentés des facilités offertes par Bikini, - les habitants toujours en stand by à Kwajalein, - l’atoll d’Eniwetak, Rongelap, (dans les îles Marshall). Ils décidèrent donc dès 1950 de rentabiliser un territoire acquis en 1863 par les visages pâles en échange d’un loyer annuel de 5 000 U$ (pour 20 ans) et qui appartenait au peuple Shoshone (New Sogobia qui signifie la terre des homes de la Mère Terre), Il s’agit du site du Nevada qui a été le témoin de plus de 900 essais.

Circulez, y a rien à voir

Bien sûr, à Lop Nor, par exemple, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Des circuits touristiques sont organisés à Montebello et dans le Nevada et les Français auraient bien voulu transformer Moruroa et Fangataufa en villages du Club Med. Mais dans les confettis polynésiens de l’Empire, les atolls, bourrés de déchets nucléaires, (censés boucher les cavités) ne flotteront pas éternellement ; et les experts attitrés de l’AIEA devront bientôt relire leurs classiques dont les textes de la Convention de Londres, songer aux fuites potentielles qu’on prédit (par exemple) sur le site d’Amchitka et (sans jeu de mots), s’immerger à leur tour. La cité interdite de Semipalatinsk a été rebaptisée dès 1994 (Semeî), histoire de faire oublier le cauchemar d’antan. Ironie de l’histoire, Moruroa - qui signifie le grand secret en langue Maori - a été surnommé ‘Mururoa’ par les militaires et le CEA français depuis leur occupation des lieux en 1967. Il existe de par le monde d’autres zones reculées où les images satellites sont beaucoup moins transparentes qu’au-dessus de Natanz. Parmi elles : le site du Rajastan qui a connu la première explosion indienne, avec pour nom de code ‘Bouddha sourit’ ; ou encore le site de Ras Koh (qui signifie le portail des montagnes en Urdu ) dans les collines Chagaï en plein Balouchtistan. Ou encore le mont Mantap, à 17 kilomètres au nod de Punggye-yok, non loin du site de Khik-tong où les Nord-Coréens s’activent dans l’art des armes de la provocation massive.

Si le secret est bien gardé, si les archives sont soigneusement mises à distance des historiens indiscrets, si les curieux ne sont pas autorisés à se balader (avec ou sans compteur Geiger) dans des zones sensibles, c’est aussi et surtout parce que nul n’a intérêt à fanfaronner sur ses activités nucléaires en temps de paix. C’est logique, aussi logique que les retombées. Tout aveu implique la reconnaissance, donc la reconnaissance d’une dette. Lorsqu’il y a coût/(p)s et blessures, aucune réparation n’est gratuite. Alors, au risque d’être pris dans le tourbillon de l’actualité de la crise financière, parlons chiffres. Si l’on prend le cas de la récente opération israélienne à Gaza, le montant des dégâts se chiffre à 2 milliards de dollars. Pour l’agent orange que les Américains ont déversé sur le Vietnam avec le mot d’ordre « Only we can prevent forests » (la devise de la US Air Force), l’envahisseur avait promis de dédommager à raison de 3,5 milliards de dollars (de l’époque, 1973). Certes, les dettes ne sont pas toujours honorées. Parfois oui, même avec retard. Pour la contamination du bateau ‘Happy Dragon’, durant un essai à Bikini, le Département d’Etat (U.S.) a finalement (octobre 2006) payé 15 millions au gouvernement japonais. Un fonds de 150 millions a été mis en place par Washington pour dédommager les victimes se 67 essais atmosphériques des Iles Marshall. Au Canada, grâce à la diffusion inattendue d’un documentaire télévisé en 2007 sur les sacrifices des Vétérans (Canadiens) dans l’opération Plumbbob dans le Nevada, le gouvernement d’Ottawa a débloqué un fond de 22,4 millions de dollars l’année suivante. Et en France ?

Français, si vous comptiez …

Les autorités françaises, ne l’oublions pas, se sont saignées pour nous offrir cette assurance-vie qu’est la bombe. Il n’y a pas que le budget annuel de la DICOD - 400 millions d’euros – pour nous en convaincre. Il a fallu d’abord soudoyer les autorités algériennes dans les accords d’Evian pour la poursuite des essais à Reggane et à In Eker et ce après l’indépendance et le fameux ‘Je vous ai compris’. Suite aux protestations des voisins de l’Algérie, il a fallu quitter Reggane et Ammoudia, après seulement 4 essais. Un investissement en pure perte ! Il a fallu soulever des montagnes (d’efforts aussi) pour re-expérimenter la bombe, ailleurs, dans des tunnels à Inn Eker, ne serait-ce que pour faire croire que Paris allait abandonner les essais atmosphériques interdits depuis 1963. Par la même occasion, Paris a manié le principe de la ‘rigueur budgétaire’ (sic) en refusant depuis 45 ans de démanteler et nettoyer en bonne et due forme les sites algériens ; et Paris est même parvenu à acheter quelques années de silence à l’AIEA qui n’a sorti son rapport qu’en 2005 alors qu’il était prêt en 1999. Paris a économisé en ne décontaminant pas les sites pollués qui ne lui appartenaient plus. Et cette désinvolture est monnaie courante : à titre de comparaison, les Russes ne se sont pas sentis redevables même lorsque Nazarbayev a estimé que

le nettoyage du site de Semipalatinsk coûterait 1 milliard (dollars de 2001) ; à ce jour, le Kazakhstan n’a reçu que 20 millions (dollars) d’aide de la communauté internationale,(*) OSCE comprise. Tout comme les compagnies d’assurances, les fautifs jouent avec le temps. Il a fallu attendre 1985 pour que les Américains reconnaissent les méfaits sur Rongelap. Il a fallu des batailles d’avocats et d’experts pour que les Aborigènes se voient attribués des compensations tandis que Londres et Canberra se renvoyaient la balle. Paris a simplement omis de se préoccuper de l’état de santé des Touaregs et autres membres des populations des Oasis (PELOS). Selon une vision rentable à courte vue, les autorités militaires françaises ont plié bagages, enterré les déchets et miser sur les vents de sable du désert chargées de tout ensevelir. Y compris les griefs. On aurait pu songer à installer quelques clôtures aux abords des sites, mais les Algériens ont fini par s’y résoudre en 2005.

Touchez pas à mon budget

C’est toujours désagréable d’avoir à régler des comptes : en Russie, le droit à un dédommagement (évalué à 75.000 dollars pour une victime américaine) n’est pas reconnu aux soldats du feu de l’armée rouge. En Chine, n‘en parlons pas. En France, non plus. Les vétérans comme ceux qui témoignent dignement (Gaston Morizot) dans le film ‘Gerboise Bleue’ de Djamel Ouabab (en ce moment à l’écran) n’avaient qu’à refuser de se prêter à ce rôle de cobayes. Ben voyons ! Quoi qu’il en soit, la facture est salée, non seulement en raison des accidents de parcours dont la mort du ministre G. Palewski, mais il a fallu investir, plus loin, en Polynésie. S’y faire accepter de gré ou de force. Recruter les petits jeunes qui voulaient bien gagner leur vie au risque de la perdre. (mais avec la promesse de l’omerta). Certes, la DIRCEN ou Direction du Centre d’expérimentation nucléaire n’a coûté au contribuable que la bagatelle de 500 à 670 millions ($) par an (estimation de Bruno Barrillot, cf. Audit Atomique, CDRPC, Lyon, 1999)). Mais les chiffres sont parfois trompeurs. Les banquiers en savent d’ailleurs quelque chose. Il faudrait additionner 50% du budget du CEA, pendant 40 ans, le millier de scientifiques qui a résidé du côté de Papeete en passant par Hao pour développer notre savoir faire de l’atome, (avec des salaires défiant toute concurrence), sans oublier que l’aide financière extérieure à la Polynésie représentait 55% du budget du territoire du Pacifique Sud. Parmi tous les déboires, et catastrophes, seuls les plus médiatisés ont été facturés. Parmi eux, quelques millions au gouvernement néo-zélandais pour avoir violé sa souveraineté avec l’opération rocambolesque contre le Rainbow Warrior, près de 11 millions (dollars toujours) à Greenpeace International. Enfin, $9.4 à $13 millions à la famille du photographe néerlandais Fernando Pereira.

Depuis, Paris a débloqué 200 millions ($) sur son budget de la défense en vue du démantèlement des sites du Pacifique Sud après l’annonce de fermeture (définitive) de janvier 1996. Cette somme peut paraître disproportionnée quand on sait que pour nettoyer le site de Marcoule, le CEA va débourser 12 milliards ($) d’ici 2035, que l’Andra mise sur une dépense de 19 milliards ($) pour finaliser le site d’enfouissement des déchets à haute activité et à vie longue à Bure…

Disproportionné ou non, tout est une affaire de priorités. Dans le budget annuel de la France consacré au nucléaire (plus de 4,7 milliards $ ou encore 142 dollars par seconde), Paris verse aussi quelques dizaines de millions de dollars de cotisation à l’organisation qui est en charge du respect du traité d’interdiction des essais, le CTBTO, (comme elle le fait pour l’AIEA) et/ou 50 millions pour assainir la situation environnementale du côté de Mourmansk (dans le cadre du NDEP). Mieux encore, des crédits vont être affectés à la réparation du SNLE Le Triomphant, victime de mystérieux dégâts quelque part dans l’Atlantique au début de février (2009). Mais avec le même empressement, et d’autres scrupules, le ministère de la défense va rechigner à débourser quoi que ce soit à l’intention des vétérans des essais, aux 24.000 personnes du Sahara et 52.000 en Polynésie qui ont été impliqués dans la mise au point de l’arsenal nucléaire français, au gouvernement algérien pour restaurer, réhabiliter. …. Ah ! j’avais oublié : le coût d’un SNLE est estimé 3,2 milliards de dollars, (sans compter bien sûr tout ce qui va avec… dont les SNA qui les escortent, le système de communication), soit un versement de 75.000 $ à 42.000 êtres humains.

Note : (*) attention aux ordres de grandeur : si 1 million de dollars est représenté par 12 cm, 1 milliard équivaut à 120 mètres.