vendredi 16 octobre 2009

Et si l’arbre climatique cachait la forêt des conflits armés ?

par Ben Cramer, 1/9/2009

Version española: ¿Y si el árbol climático escondiese el bosque de los conflictos armados?
Versione italiana: E se l'albero climatico nascondesse la foresta dei conflitti armati?

Tout va donc se jouer en décembre 2009 ? La thèse selon laquelle la protection de notre chère planète passe par la préservation de la couche d’ozone et une réduction d’ici 2020 de 20 % des gaz à effets de serre pour les Européens, est dans l’air du temps. Et selon le kit de survie, le prochain sommet de Copenhague est l’horizon indépassable. Formule choc, mais bien réductrice.
Loin de vouloir ironiser sur les urgences ou de proposer une autre hiérarchie des priorités, notre survie — dont il serait question à Copenhague — ne dépend-elle pas tout autant du sort qui sera réservé aux armes nucléaires ? Eu égard au rôle qu’elles jouent dans les questions climatiques, eu égard aux ressources financières qui sont détournées à leur profit et parce que ces armes sont destinées à défigurer et dévaster la planète… durablement, la question mérite d’être posée.

Une mobilisation désarmante

Le 29 août dernier, quelques 10 000 personnes se sont retrouvées sur la plage d’Ostende en Belgique afin de tourner un clip appelant à l’action contre les changements climatiques. Ce film deviendra un outil de mobilisation dans le cadre de la Conférence des Nations Unies sur le climat, qui aura lieu à Copenhague début décembre.
L’ultimatum climatique est une campagne s’intégrant dans la mobilisation internationale pour obtenir à Copenhague 2009 un accord à la hauteur des enjeux. « Plus que jamais l’avenir du climat se joue entre nos mains », clame la pub de la Revue Durable. Tout le monde y va de sa formule choc pour évoquer le temps détraqué. Le président Sarkozy, s’exprimant devant la conférence des ambassadeurs (le 26 août 2009), a déclaré : « Il n’y a pas de session de rattrapage, ce sera Copenhague en décembre ou çà ne sera pas ». Si l’on en croit le porte-parole de Greenpeace France, « cette année, compte tenu de l’importance de la conférence de Copenhague qui doit absolument aboutir à un accord fort et ambitieux pour faire face à l’urgence, la majeure partie de notre travail porte sur les questions climatiques. C’est notre cheval de bataille ».
Selon le Réseau des étudiants français pour l’éducation au Développement Durable, 75 % des étudiants considéraient en 2008 que la question des changements climatiques est un problème d’une telle ampleur qu’il doit devenir une préoccupation croissante dans la vie. « Les jeunes gens du monde entier forment la génération qui héritera des décisions que les gouvernements doivent prendre dans moins de 110 jours », a ainsi rappelé à Nairobi le directeur exécutif du PNUE, Achim Steiner. Alors qu’il ne restait que 100 jours d’ici à la Conférence sur les changements climatiques de Copenhague de décembre 2009, le PNUE a lancé le 28 août sur Internet la campagne « Seal the Deal ! » (l’heure de conclure !), qui vise à recueillir des millions de signatures pour une pétition sur le climat.

Un Protocole calqué sur le TNP ?

Serge Sur, l’ancien directeur adjoint (1986–1996) de l’Institut des Nations Unies pour la Recherche sur le Désarmement (UNIDIR) écrit : « En globalisant la menace, on la diffuse vers une culpabilité générale et impersonnelle dont plus personne n’est précisément responsable… »[1]. Mais ne nous arrêtons pas aux généralités. Le protocole de Kyoto épargne les plus grands émetteurs de la planète et cela rappelle d’autres arrangements internationaux. Les gros producteurs de mines anti-personnel ne sont pas parties prenantes à la Convention d’Ottawa. Le Traité de Non Prolifération Nucléaire (TNP) à « vocation universelle » est un autre cas d’école. Si le TNP est au désarmement nucléaire ce que Kyoto est au changement climatique, toutes les promesses sont possibles, les échappatoires et les tricheries aussi. Quatre puissances nucléaires (Corée du Nord, Inde, Israël, Pakistan) sur les neuf le boycottent et/ou s’en méfient. Quant aux cinq puissances qui ne boudent pas (ou plus) ce traité, et qui font nolens volens la pluie et le beau temps au Conseil de Sécurité de l’ONU, aucune n’a l’intention de se priver de sa quincaillerie nucléaire et chacune en détient suffisamment pour provoquer des perturbations climatiques conséquentes. Cherchez l’erreur.
Les trois sphinx de Bikini, Salvador Dali, 1947, collection privée.
Les trois sphinx de Bikini. Salvador Dali, 1947, collection privée

Et les brumes de guerres ?

Curieusement, avec la mobilisation sur « la clim », le politiquement correct consiste à dissocier deux phénomènes : la dégradation environnementale et la militarisation du monde. Les lecteurs de Notre survie à tous de Brundtland ont dû traverser quelques zones de turbulences amnésiques. Certes, l’ouvrage est complètement passé inaperçu en France… à sa sortie… mais puisque cette « bible » (ou coran) du développement durable est si souvent citée, rappelons que le chapitre 11 est entièrement consacré au lien entre paix, sécurité, développement et environnement. On peut y lire que les armes nucléaires représentent « la plus grande menace pour l’environnement et le développement durable ». Un moyen de convaincre les politiques — ou du moins ceux qui en doutaient — que toutes les guerres sont anti-écologiques[2]. Et surtout qu’un conflit atomique n’aurait pas de vainqueur et qu’un seul perdant : la planète[3]. Les militants anti-CO2, qui feront le pèlerinage dans la capitale danoise, semblent hélas peu déterminés à se mobiliser pour le 21 septembre, la journée mondiale de la paix. En tout cas, tant que les neuf puissances dotées d’armes nucléaires sont capables de débloquer en 24 heures, juste pour maintenir en état et moderniser leurs arsenaux, l’équivalent de ce que le PNUE dépense en un an, les financements pour éviter la fonte des banquises seront toujours difficiles à trouver[4]. Disons le autrement : ce que le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) consacre en 2008 à des projets « d’adaptation au changement climatique » , soit 26 millions de dollars, équivaut à deux jours de l’enveloppe budgétaire prévue (dans le budget défense) pour notre « dissuasion ».

La pollution militaire

La militarisation, ennemi public no 1 de la démocratie, est aussi l’ennemi de la sauvegarde de la qualité de la vie et — venons-en à l’essentiel ! — de la vie tout court. On peut nier ce lien, bien sûr, au point de nous faire croire que ceux qui détiennent 25 000 ogives nucléaires ciblent la planète Mars, tirent « à blanc » et font « joujou » tout simplement, en s’appropriant 1 % de la superficie terrestre — le nombre de km² réservés au maniement des armes. La vingtaine de sites qui ont servi — 2 059 fois ! — de lieux d’essais d’ogives nucléaires, ne connaîtront pas le retour à l’herbe. Les zones condamnées le sont pour les générations futures (pas seulement sur l’atoll de Bikini que les habitants ont dû abandonner lors des essais nucléaires américains de 1954 sans jamais pouvoir y retourner). Aux alentours des atolls les plus fragiles (d’Amchitka aux Îles Christmas en passant par Kwajalein), la détection de la pollution marine mériterait autant d’attention que la recherche d’une boîte noire, ou la traque de pirates et réfugiés. Si pour certains militaires, l’empreinte écologique de toutes ces activités est un détail, le changement climatique ne les épargne pas : leurs infrastructures vont trinquer avec la montée des eaux. Une île comme Diego Garcia, par exemple, que le Pentagone s’est approprié en 1965 après avoir déporté ses habitants, est en sursis : la piste qu’empruntent allègrement les B-52 et les B-2 (dits furtifs) pour bombarder l’Afghanistan et l’Irak sera bientôt inondée.

Nucléarisation et « hiver nucléaire »

Quand les militants branchés sur Copenhague avertissent « The climate is ticking », la formule est empruntée. Pourquoi cette OPA ? L’horloge de l’apocalypse, ce sont les physiciens qui l’ont mise en place en 1947, par rapport à la bombe atomique et le compte à rebours est déplacé en fonction des menaces… nucléaires. Allons plus loin dans la paternité des événements et des réflexions : ceux qui ont dénoncé les arsenaux nucléaires et contré leur pouvoir de séduction ont aussi été les premiers lanceurs d’alerte en matière climatique. Il y a plus de vingt cinq ans, des scientifiques — dont l’astrophysicien Carl Sagan, Paul J. Crutzen du Max Plank Institut à Mayence, Richard P. Turko de l’Université de Californie —, ont brandi le scénario de « l’hiver nucléaire »[5]. Dès lors, la boulimie nucléaire des Super Grands a été maîtrisée et la course délirante aux mégatonnes[6] fut interrompue. Ce scénario, qui n’a rien à voir avec des « variations saisonnières », démontrait (par simulation) qu’en cas d’échange, de « tirs croisés » de la moitié des ogives détenues à l’époque par Moscou et Washington, l’hémisphère Nord se trouverait plongé dans un climat glacial jusqu’à ce que les poussières rejetées dans l’atmosphère soient retombées au sol. Ces particules, en suspension dans l’atmosphère, agiraient comme un écran et bloqueraient les rayons solaires durant plusieurs mois. Privée de lumière et de chaleur, la végétation ne pourrait survivre et cela entraînerait la rupture de la chaîne alimentaire. Dans les zones nordiques, il suffirait que la température descende de 1 ou 2 degrés pour que les récoltes gèlent. Un refroidissement sur le plateau tibétain, freinant son réchauffement pendant la saison d’été, supprimerait l’appel d’air chargé d’humidité venant de l’océan, empêchant ainsi la mousson d’apporter les pluies indispensables à la vie de l’Inde et du Pakistan.

Des vérités qui dérangent ?

La solidarité internationale est le parent pauvre du développement durable.
Le problème de la solidarité internationale est aussi grave que celui du changement climatique et du réchauffement de la planète. Si cet aspect de solidarité n’existe pas, nous assisterons à des déplacements de populations entraînant des conflits difficiles à maîtriser…
Le GIEC estime que la menace d’un changement climatique progressif et ses impacts (…) ne sera pas grave au point de représenter une menace pour la sécurité. Et pourtant. Si le gouvernement canadien prévoit de débloquer 10 milliards de dollars pour construire des navires de guerre qui vont patrouiller dans l’Arctique, est-ce par pure coïncidence et sans rationalité géopolitique ?
Parmi les vérités qui dérangent, on pourrait se demander pourquoi l’empreinte écologique des forces armées et des systèmes d’armes est un sujet tabou. Admettons que les climatologues et leurs acolytes soient indifférents aux questions militaires. Mais l’inverse ne colle pas : les forces armées ont su utiliser l’environnement à leurs fins. Prenons le cas de la déforestation qui joue son rôle dans les perturbations climatiques : la dioxine épandue avec des avions C-123 Provider est allée de concert avec la devise affichée par la US Air Force « Only we can prevent forests » lors de leurs opérations au Vietnam (1961–1975). Curieusement, les militants qui « tremblent »[7] pour le climat ont tendance à zapper la célébration du 6 novembre, la journée internationale pour la prévention de l’exploitation de l’environnement en temps de guerre et de conflit armé.
Si l’Antarctique est encore plus ou moins préservé, c’est parce qu’il a été dénucléarisé et démilitarisé dès 1959[8]. Depuis, l’environmental warfare (pour briser les équilibres d’un écosystème par exemple) s’intéresse plus particulièrement à investir l’espace, le cosmos comme disent les Russes : une arène d’affrontement militaire avec pour décor principal plus de 2 800 engins spatiaux. Mais tous ceux qui manient parfaitement les acronymes du GIEC ou de l’IPCC (version anglo-saxonne) calent devant le sigle PAROS (Prevention of an Arms Race in Outer Space), bref, la militarisation de l’espace extra-atmosphérique. À l’heure où tout le monde a une pensée émue pour la couche d’ozone de l’atmosphère, les fusées qui consomment 15 tonnes de combustibles par seconde font moins de pub que les 4×4 et les limitations de vitesse pour missiles.

Copenhague dans le rétroviseur

Revenons au climat. Lorsque la fièvre de Copenhague sera retombée, peut-on anticiper une révision des priorités sur tout ce qui risque de nous tomber sur la tête ? Déjà en 1991, la Commission Trilatérale estimait que « la crainte d’un conflit nucléaire, qui a exercé une pression psychologique considérable à une époque, [...] est en train de s’estomper. Mais certaines menaces environnementales pourraient finir par exercer la même pression dans l’esprit des peuples. [...] » si l’on en croit le rapport intitulé Beyond Interdependance.
Il m’apparaît plutôt que la pression pourrait être soutenue, amplifiée si l’on garde en tête qu’une menace ne doit pas se substituer à une autre et que le compartimentage ne fait avancer que les œillères. Certes, le front des ONG pour le désarmement nucléaire ne bénéficie pas d’une force de frappe médiatique équivalente à celle des ONG écologistes, ni d’un consensus sur la gravité de l’enjeu. Mais puisque j’ai fait référence aux tractations de la diplomatie atomique, évitons les mêmes écueils et des déceptions similaires. L’après-Kyoto peut être l’occasion de répertorier à la fois les acteurs vertueux, ceux qui s’engagent de façon différenciée, même à reculons et les voyous arrogants ou discrets qui ne méritent pas un traitement d’exception et/ou de faveur.

Notes


  1. Questions Internationales no 38, juillet–août 2009, La Documentation Française, 90 pages, dont 2 pages (sic) sur la sécurité et les études stratégiques. [remonter]


  2. Les dégradations procèdent de la déclaration de guerre, les dégâts financiers peuvent se facturer comme des dégâts de guerre… Cf. article sur crises, guerres et paix, 24 mai 2009. [remonter]


  3. Umberto Eco, Cinque Scritti Morali, Bompiani, Milano 1997. [remonter]




  4. Paul Ehrlich, Carl Sagan, Donald Kennedy, Walter Orr Roberts, Le froid et les ténèbres, Belfond, 1985 ; traduit de The Cold and the Dark par WW Norton & Company, New York, 1984. [remonter]


  5. Mégatonne : unité de puissance d’une arme nucléaire qui équivaut à un million de tonnes de TNT, soit 1 000 kilotonnes, soit 66 fois la puissance d’Hiroshima. [remonter]


  6. Si l’on tape « Greenpeace », « climat » et « dramatique », Google met à la disposition de l’internaute 11200 pages en français. [remonter]


  7. Le Traité de l’Antarctique interdit les essais nucléaires, le recours à des bases militaires et le dépôt ou l’enfouissement de déchets nucléaires. [remonter]



Si près du but par David Lihard




Aucun commentaire: